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UNE LECTUREDE LA RESOLUTION 1975(2011)

avril 6, 2011

UNE LECTURE DE LA RESOLUTION 1975(2011) du CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES EN TROIS REMARQUES

 

La résolution 1975(2011), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 6508è séance, le 30 mars 2011, est l’argument juridique principal qu’ont utilisé l’ONUCI et la force Licorne pour bombarder la Côte d’Ivoire dans la nuit du 4 Avril au 5 Avril 2011. Neuf véhicules blindés(légers, porte-roquettes, transport de troupes, quatre canons anti-aériens, vingt pick-up) ont été détruits. Et la France de se réjouir par la voix d’Alain Fillon : « La France peut être aujourd’hui fière d’avoir participé à la défense et à l’expression de la démocratie en Côte d’Ivoire ». Mais qu’est-ce qui autorisent la France et les Etats-Unis à agir ainsi, au mépris du droit international ? L’argument avancé est celui de « neutraliser les armes lourdes contre les populations civiles ». Et ces frappes résultent d’une demande urgente du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon au Président Sarkozy. La Mafiafrique a pris le relais de la Françafrique.

1)    PREMIERE REMARQUE

D’abord, je voudrais faire remarquer à l’armée de la coalition internationale (dont la Licorne et l’ONUCI sont les bras séculiers) et qui combat depuis toujours aux côtés des rebelles, que le camp d’Agban gendarmerie, n’est pas une zone de guerre, mais un camp convivial où vivent paisiblement enfants, jeunes, femmes et époux, et où des infrastructures sociales (écoles, centres de santé, et habitations de famille) se trouvent. L’église catholique Ste Géneviève et la mosquée se trouvent à cent mètres l’une de l’autre et le presbytère des prêtres jouxte l’église. Déjà en 2002, ce camp a payé un lourd tribut de la guerre en Côte d’Ivoire. Les commandants de ce camp ont été égorgés en plein sommeil…9 ans après, d’autres gangsters au col blanc prennent pour cible des enfants (une fillette de 15 ans, membre de la chorale des enfants a été fauchée en pleine journée alors qu’elle tentait de se mettre à l’abri), des maisons(le bâtiment C a été complètement détruit), des véhicules calcinés… Biens et Personnes ont été pris pour cible par des avions Puma déchaînés, qui lâchaient sans répit de centaines de balles et des roquettes. Ces armes ont été lancées de loin, vers un camp, complètement coupé d’eau et d’électricité depuis plusieurs jours. Les personnes qui tentaient de sortir des maisons pour s’acheter de quoi manger étaient abattues par des snippers embusqués. Il y a un autre objectif poursuivi par cette opération de guérilla. Cette guérilla, en tant que tactique militaire, avait pour but de harceler l’armée régulière mais est surtout une expédition punitive contre la gendarmerie qui a toujours manifesté ouvertement sa loyauté vis-à-vis de la République.

2ième REMARQUE

Une deuxième remarque s’impose à moi ; c’est que cette crise ivoirienne est une façon pour l’Européen de traiter le noir, son Autre avec mépris. Les ivoiriens sont traités aujourd’hui encore comme des bêtes, des gens pauvres, des bestiaux bref comme des indigènes et des primitifs. Nous assistons, sous nos yeux, à une recolonisation de la France de la Côte d’Ivoire, et cette entreprise est vue par la classe politique française comme une œuvre salvatrice. Les ivoiriens sont donc des sous-hommes, et la France argue comme preuve les différents charniers découverts (Duékoué, Guitrozon, Abobo, Anonkoakouté). Ce sont des ivoiriens qui ont brûlé et massacré d’autres ivoiriens, qui les ont étranglés et incendié leurs habitations. Au nom de la civilisation occidentale, la Licorne, va se servir d’hommes sans foi ni loi, la Légion étrangère, pour éradiquer ses mœurs barbares. Mais on ne met pas fin à un conflit en prenant position aussi ouvertement ? Comment peut-on rester dans les fourmis magnans pour enlever les fourmis magnans ? N’est-ce pas aussi au nom de la loi de sang selon laquelle un sans pur ne doit pas être contaminé, que leurs ressortissants ont été mis à l’abri au 43ième BIMA ? Mais un Spartacus a sonné la révolte des esclaves…

3ième REMARQUE

Une troisième remarque, la résolution 1975 ne dit rien du droit international, mais traduit une volonté de puissance européocentrée (France, Etats-Unis…), en ce sens que la guerre que nous fait l’ONUCI et la LICORNE est une guerre injuste. Cette guerre cache les mensonges de Choï, le représentant spécial de BAN-KI Moon et de toute la communauté internationale et de ses dirigeants, expose les méandres de leur hypocrisie et traduit l’hommage que le vice rend à la vertu. Aujourd’hui l’n ou l’autre camp politique compte ses morts. Mais seuls les morts peuvent être comptés. Peut-o, mesurer les valeurs de l’indépendance d’un pays par rapport à la valeur des pertes éventuelles en vies humaines nécessaires à sa défense ?

La France est intervenue directement en Côte d’ivoire mais elle doit savoir que les changements de régime dans un pays sont l’œuvre des individus qui vivent sous ses lois et qui sont également ceux qui supportent les coûts du changement et les risques d’échec. La non-intervention ne cède le pas à la proportionnalité que dans le cas de massacre ou de famine et d’épidémie provoquée à des fins politiques. Ce qui n’est pas encore le cas en Côte d’Ivoire. L »action se justifie alors, bien mieux, elle s’impose comme un devoir, sans considération pour l’idée de souveraineté.

Je parlais, tout ç l’heure de loi injuste, je vais être précis. Ici, les Français tombent bêtement dans le jeu des rapports de force. Là, pour reprendre un philosophe allemand, la vie est volonté de puissance ou essentiellement effort vers plus de puissance. Le droit est foulé aux pieds par la force. La Licorne (la Légion étrangère) ne veut pas respecter le Conseil Constitutionnel de la Côte d’Ivoire mais veut imposer de force un Président, lequel sera le tissu de forces complexes, rebaptisées forces républicaines de la Côte d’Ivoire, qui s’entrecroisent, de conflits multiples (IB contre Wattao), dont l’enjeu est le pouvoir et son accroissement.

Pour conclure : la résolution 1975 est une volonté d’éterniser l’équilibre de  puissance présent à condition qu’on en soit satisfait. Cette résolution est un simple reflet de rapports de forces et comme appareil idéologique destiné à mystifier les dominés en dissimulant des relations historiques de puissances sous les apparences. En Côte d’Ivoire, la LICORNE et l’ONUCI réduisent le champ juridique international en champ de tir, une violence euphémisée par la résolution 1975. Cette résolution montre qu’elle n’est pas plus un état de paix que le résultat d’une guerre gagnée : elle est la guerre elle-même, et la stratégie de la guerre en acte. Mais Sun Tse  dans l’art de Guerre, nous met en garde : « Toujours, vous cacherez à vos adversaires l’état dans lequel sont vos troupes : parfois, vous ferez répandre le bruit de votre faiblesse, ou vous feindrez la peur pour que l’ennemi cédant à la présomption et à l’orgueil, ou bien vous attaque imprudemment, ou bien, se relâchant de sa surveillance, se laisse lui-même surprendre. »

L’INTIMITE EN POLITIQUE: QUELLE DEONTOLOGIE,

décembre 26, 2008

L’INTIMITE EN POLITIQUE : QUELLE DEONTOLOGIE ?

Par Père AKE Patrice Jean, Maître-Assistant en Philosophie à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody patrice.ake@ucocody.ci

INTRODUCTION

La politique, comme notion philosophique[1], vient du grec πόλιτικη et désigne l’activité qui organise et gère une cité (πóλις), plus généralement une collectivité dont les membres font corps, par entente tacite ou explicite, dans une destinée commune. En français, où le terme apparaît durant le XIVe siècle, la notion est plurivalente, car elle concerne un ensemble de phénomènes que d’autres langues distinguent. La politique est à la fois l’activité organisatrice, l’art de gouverner, l’ensemble des affaires politiques, la théorie des régimes et la science qui analyse tous ces phénomènes. Les Grecs faisaient une distinction entre la πόλιτικη ou activité politique concrète, la πόλιτεια ou constitution d’un régime, et les πόλιτικα ou affaires de la cité. Les Latins employaient de préférence les termes de publicus ou de civilis à celui de politicus. La respublica désignait l’ensemble des affaires politiques et la civilis prudentia, l’art de conduire ces affaires. L’anglais connaît également deux mots : celui de policy ou l’activité des individus ou des groupes et politics ou affaires publiques proprement dites. Toutefois depuis une trentaine d’années le terme de politologie (politologue) devient un usage fréquent en France, pour désigner les spécialistes de l’analyse politique.

Par politique nous entendons également, une réponse à une « nécessité de la vie sociale »[2]. L’homme politique est celui qui s’engage dans cette vie en participant ainsi à la prise en charge du destin global d’une collectivité.[3] Mais le concept de politique est vaste et embrasse toutes les espèces d’activité directive autonome.[4] Nous retiendrons le sens qui fait de la politique « l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même Etat. »[5]

L’intimité, quant à elle, désigne la qualité de ce qui est intime, essentiel, la vie privée en général d’une personne. Il s’agit de la sphère individuelle privée, de la vie privée d’une personne[6]. Elaborée aux Etats-Unis en 1890, la première définition moderne de l’intimité consacre pour chaque individu the right to be left alone, le droit d’être laissé tranquille[7]. La sphère d’intimité de chaque personne s’oppose à sa vie publique. La vie privée est ce qui, dans la vie de chacun, ne regarde personne d’autre lui et ses intimes (s’il n’a pas consenti à le dévoiler) : vie familiale, conjugale, sentimentale, face cachée de son travail ou de ses loisirs. Tout personne a droit au respect de sa vie privée, c’est-à-dire le droit de n’être troublé par autrui, ni chez soi (inviolabilité du domicile), ni dans son quant-à-soi (inviolabilité de la sphère d’intimité). L’atteinte à la vie privée, en revanche, regroupe les infractions les plus graves au respect de la vie privée : violation de domicile ; captation des paroles ou de l’image d’une personne sans son consentement ; conservation d’un enregistrement attentatoire à la vie privée. Aujourd’hui si l’intime a fait une entrée fracassante en politique, bouleversant à la fois valeurs traditionnelles et références de jugement,[8] nous voulons savoir où situer la frontière de l’intime. Pouvons-nous encore parler d’une certaine déontologie en politique[9] quand notre démocratie actuelle est malade du mensonge[10]? Le mensonge insidieux de nos démocraties reste peut-être le mensonge essentiel, le plus conforme à son propre concept : qui ment effectivement ? Celui dont chacun sait qu’il ment, ou celui dont chacun croit qu’il peut dire la vérité et qui, dans le même temps, dit et fait son contraire ? Aussi une troisième notion qu’il serait bon d’éclaircir avant d’aller plus loin dans notre débat est celle du mensonge.

1. L’INTIME EN POLITIQUE

Le mensonge est l’affirmation contraire à la vérité avec, en général, l’intention de tromper. Pour St Augustin, « est donc menteur celui qui pense quelque chose en son esprit, et qui exprime autre chose dans ses paroles, ou dans tout autre signe[11] » Le mensonge ou la dissimulation, en grec pseudès(faux, apparent, trompeur) s’oppose à la vérité. Le mensonge vient de Peithô qui désigne une séduction trompeuse.

Pour Jean-Pierre Vernant[12], avec l’avènement de la cité grecque, la parole devient l’outil politique par excellence, la clé de toute autorité dans l’Etat, le moyen de commandement et de domination sur autrui. Cette puissance de la parole rappelle l’efficacité des mots et des formules dans certains rituels religieux ; cependant, il s’agit en réalité d’autre chose. La parole n’est plus le mot rituel, la formule juste, mais le débat contradictoire, la discussion, l’argumentation. Elle suppose un public auquel elle s’adresse comme à un juge qui décide en dernier ressort, à mains levées, entre les deux partis qui lui sont présentés ; c’est ce choix purement humain qui mesure la force de persuasion respective des deux discours, assurant la victoire d’un orateur sur son adversaire.

Entre la politique et le logos, souligne encore Vernant,[13]il y a ainsi rapport étroit, lien réciproque. L’art politique est, pour l’essentiel maniement du langage ; et le logos, à l’origine, prend conscience de lui-même, de ses règles, de son efficacité, à travers sa fonction politique. Historiquement, ce sont la rhétorique et la sophistique qui, par l’analyse qu’elles entreprennent des formes du discours en tant qu’instrument de victoire dans les luttes de l’assemblée et du tribunal, ouvrent la voie aux recherches d’Aristote définissant, à côté d’une technique de persuasion, des règles de la démonstration et posant une logique du vrai, propre au savoir théorique, en face de la logique du vraisemblable ou du probable qui préside aux débats hasardeux de la pratique.

La rhétorique et la sophistique considèrent en effet le discours comme un instrument des rapports sociaux ; la pensée philosophique, par contre y voit un moyen de la connaissance du réel[14]. La sophistique fait du discours un instrument ambivalent, car l’orateur doit être aussi habile à proposer le vrai que la faux. La pensée philosophique qui s’origine souvent dans une croyance religieuse, cherche au contraire à privilégier la vérité et à la distinguer de l’opinion.

L’antiquité grecque a montré comment trois personnages se disputent la vérité dans le champ politique : le philosophe, le rhéteur et le sophiste. Seul le philosophe a la passion de la vérité. Le rhéteur et le sophiste imitent le philosophe et de ce point de vue sont des artistes. L’artiste ici a pour devoir la fiction et le mensonge. L’artiste n’est plus révélateur de la vérité, mais donne au mensonge une figure agréable.

Aristote a essayé, quant à lui, a essayé de distinguer la politique, du droit et de la morale. Depuis le Stagirite, par nature, l’homme est fait pour vivre dans une cité. Il est donc un animal politique[15]. Il est celui qui, ayant maîtrisé sa propre maison, peut diriger la cité. Cette introduction de la morale dans le champ politique a eu pour conséquence, de réintroduire la question de la vérité dans un lieu où par essence elle n’y a pas droit d’être. Mais, la politique ne doit-elle se fixer que des objectifs en harmonie avec les valeurs morales qui régissent la société ? Peut-elle employer en cas de nécessité des moyens qui réprouve la morale commune et dont l’usage est notamment interdit aux particuliers, mensonge, ruse, violence ? Une fin légitime peut-elle justifier que la politique recoure à des moyens répréhensibles ? Finalement, n’y a-t-il qu’une morale dont l’empire s’étend sur toutes les activités humaines, individuelles ou collectives, ou la politique constitue-t-elle un domaine qui lui est soustrait du fait de sa spécificité ?

Hannah Arendt a, quant à elle, montré l’ampleur prise par l’intention de pratiquer l’insincérité en matière politique. Elle a décrit, lors de la guerre au Vietnam, comment l’administration américaine a menti dans tous les services officiels. Elle écrit que « la tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple employés comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d’objectifs politiques, font partie de l’histoire aussi loin qu’on remonte dans le passé[16]. » Selon elle, la véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques.

Aux nombreuses formes de l’art de mentir élaborées dans le passé, Arendt montre la technocratie de la politique au niveau de la vente des opinions, car la politique est faite pour la fabrication d’une certaine image et l’art de faire croire en la réalité de cette image. Cette idée rejoint celle de Valentine Lopez et Géraldine Wœssner quand elles écrivent que l’explosion des médias de masse a contraint les politiques à modifier leur fonctionnement et leurs règles de recrutement. « Le technocrate, ajoutent nos auteures, a laissé la place au communicant. Et ce communicant doit consacrer une énergie croissante à persuader l’électeur que malgré l’étroitesse de sa marge de manœuvre dans un système globalisé où une grande part des décisions qui le concernent se prennent ailleurs qu’à l’Elysée, l’homo politicus reste malgré tout proche de lui et de ses préoccupations »[17]. Parce que l’homme politique sait, parce qu’il comprend, parce qu’il est comme tout le monde, il lui sera possible d’agir. C’est en utilisant, en instrumentalisant son intimité qu’il ravivera l’intérêt et la confiance de ses électeurs. Sa vie privée sera la vitrine, la fenêtre ouverte sur son programme, ses idées, sa vison de l’avenir. Il carbure à l’empathie. Mais cette exhibition de la vie privée n’est-elle pas en contradiction avec l’essence même du politique qui est de la sphère publique ? L’homme politique est-il comme tout le monde? Ne doit-il pas veiller à ce que sa vie privée n’ interfère en aucune manière dans ses actes et ses décisions politiques? Ne doit-il pas maîtriser ses passions?

A suivre….


[1] Les Notions Philosophiques II. Dictionnaire, Tome 2, (Paris, PUF, 1990), p. 1978.

[2] FREUND(Julien).- Qu’est-ce que la politique ?, (Paris, Sirey, 1965), p. 6

[3] FREUND(Julien).- Qu’est-ce que la politique ?, (Paris, Sirey, 1965), p. 6

[4] WEBER (Max).- Le savant et le politique (Paris, 10/18, 1963), p. 123.

[5] WEBER (Max).- Le savant et le politique (Paris, 10/18, 1963), p. 125.

[6] CORNU(Gérard).- Vocabulaire juridique (Paris, PUF 1987), p. 904.

[7] WARREN (S.D.) et BRANDEIS (L.D.).- The right to Privacy, (Harvard Law Review, 1890), cité dans LOPEZ (Valentine), WŒSSNER(Géraldine).- Les chambres du pouvoir (Paris, éd. Du Moment, 2008), p. 78.

[8] LOPEZ (Valentine), WŒSSNER(Géraldine).- Les chambres du pouvoir (Paris, éd. Du Moment, 2008), p. 12

[9] AVRIL (Pierre).- Politique (Déontologie) dans Dictionnaire d’éthique et de morale, (Paris, PUF, 1996), p. 1167.

[10] ETCHEGOYEN(Alain).- La démocratie malade du mensonge (Paris, éd. François Bourin, 1993), p. 28

[11] AUGUSTIN (St.).- Du Mensonge, I.III.3, dans Les Notions Philosophiques II. Dictionnaire, Tome 2, (Paris, PUF, 1990), p. 1594.

[12] VERNANT(Jean-Pierre).- Les origines de la pensée grecque (Paris, Quadrige/PUF 1962), p. 44

[13] VERNANT(Jean-Pierre).- Les origines de la pensée grecque (Paris, Quadrige/PUF 1962), p. 45.

[14] DETIENNE (Marcel).- Les Maîtres de la vérité de la Grèce archaïque (Paris, Gallimard 2007), pp. 102-103

[15] ARISTOTE.- Pol. I. 2, 1253 a 2-3.

[16] ARENDT(Hannah).- Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine. (Paris, Calmann-Lévy, 1972), p. 9

[17] LOPEZ (Valentine), WŒSSNER(Géraldine).- Les chambres du pouvoir (Paris, éd. Du Moment, 2008), p. 14.

L’AFRIQUE ET LA CRISE FINANCIERE INTERNATIONALE

octobre 4, 2008

INTRODUCTION

Un vaste plan de sauvetage des banques américaines a été promulgué ce vendredi 3 Octobre 2008, par le président George W. Bush, peu après avoir été adopté par la Chambre des représentants et deux jours après l’aval du Sénat, une mesure attendue par les places boursières du monde entier. Ce plan de 700 milliards de dollars donne au Trésor américain des moyens historiques pour intervenir sur le secteur financier. La Chambre a approuvé vendredi par 263 voix contre 171 cette "Loi de stabilisation économique d’urgence 2008" de 850 milliards de dollars en tout, si l’on compte le coût des amendements divers ajoutés au cours d’âpres négociations pour satisfaire les élus récalcitrants. Le président américain George W. Bush a immédiatement jugé ce plan "essentiel pour aider l’économie américaine à survivre à la tempête financière" mais a averti que "cela prendrait du temps" avant que les effets du plan ne se fassent sentir.

La science économique élabore des modèles des phénomènes sociaux. Par modèle, nous entendons une représentation simplifiée de la réalité[1]. La crise financière internationale, en ce mois d’octobre 2008, continue d’affecter sérieusement l’économie mondiale et les populations les plus fragiles. L’intégration financière mondiale comportait de nombreux avantages, mais rendait les pays plus vulnérables aux risques cachés et aux sautes d’humeur des investisseurs[2]. Des mouvements de capitaux privés instables semblaient être associés aux taux de croissance fluctuants qui affectaient surtout les pauvres (ceux-ci manquant des ressources requises pour surmonter les tempêtes économiques[3].

En raison de leurs manque d’actifs, les pauvres ont plus de mal que les riches à ralentir leur consommation en période difficile. Proches du minimum de survie, ils travaillent généralement dans les secteurs touchés de plein fouet par les cycles économiques (agriculture, construction). La finance devient alors clé de la mondialisation car l’absence des marchés financiers fait peser une grave menace sur la paix. Il faudrait une meilleure réglementation des marchés financiers, puisque le développement de la finance risque de suivre une logique toujours plus auto-préférentielle sans lien avec la base réelle de l’économie[4]. De plus tous les acteurs doivent être recentrés sur l’économie. En effet, une économie financière qui est une fin en soi, est destinée à contredire ses finalités, car elle se prive de ses propres racines et de sa propre raison constitutive, et par là de son rôle originel et essentiel de service de l’économie réelle et, en définitive, de développements des personnes et des communautés humaines.[5]Voilà pourquoi, plus le système économique et financier mondial atteint des niveaux élevés de complexité fonctionnelle et d’organisation, plus le devoir de réguler ces processus, apparaît prioritaire, pour les finaliser à la poursuite du bien commun de la famille humaine[6].

La crise actuelle est d’un caractère particulier qui contraste avec les précédentes, car il s’agit d’une crise structurale, longue et qui affecte la création des richesses. Il s’agit des déséquilibres dans le système, notamment la disjonction entre la finance et l’économie. Les marchés financiers qui jouent un rôle essentiel dans le développement de l’économie doivent impérativement faire l’objet d’une régulation appropriée. Or nous assistons aujourd’hui à une crise qui fait tache d’huile dans la sphère des établissements financiers. Elle résulte de pratiques financières complexes et sème des laissés-pour-compte dont le sort ne peut laisser indifférent. Il existe un effet de cascade par lequel des difficultés originellement limitées s’étendent par contagion à l’ensemble de la planète financière et même à l’économie réelle. En même temps, et par delà la crise des subprimes aux Etats-Unis, est apparue une autre crise : celle des matières premières, amplifiée par la spéculation. Contrairement à ce que nous pensons peut-être, nous sommes tous concernés par ces deux crises, les responsables des organismes financiers comme chacun d’entre nous.

1. A L’ORIGINE DE LA CRISE FINANCIERE :

1.1. LA QUESTION DES SUBPRIMES

La crise qui a éclaté au cours de l’année 2007 trouve son origine dans la diffusion massive de crédits immobiliers aux Etats-Unis. Tant que le marché américain de l’immobilier était en croissance, des prêts immobiliers hypothécaires à risque (de catégories « subprimes », c’est-à-dire des prêts accordés à des emprunteurs à la situation financière fragile) ont été consentis en masse ; les organismes prêteurs prévoyant, en cas de défaillance des emprunteurs, de se rembourser des crédits accordés par la revente des immeubles financiers.

Pour accroitre leur volume d’opérations sans prendre davantage de risques, ces organismes ont « titrisé » une partie de ces financements. Les titres sont des instruments financiers qui donnent droit à certains flux de revenus. Il existe de nombreux types de titres financiers, parce que les gens désirent différents types de paiements. Les marchés financiers offrent aux gens la possibilité d’échanger différents « cash flow » au fil des temps. Ces « cash flow » sont généralement utilisés pour financer la consommation au cours de l’une ou l’autre période[7].

Les organismes ont revendu ces titres à des établissements financiers et à des fonds de placements, entre autres. Ces opérations avaient l’avantage pour les prêteurs de les délester d’une grande partie de leur portefeuille de crédits et leur permettaient de continuer à prêter à de nouveaux emprunteurs. L’ensemble a été rendue possible en raison de l’abondance de liquidités dans le monde. Beaucoup d’investisseurs financiers en de nombreux pays d’Europe et plus tard la Chine, la Russie, les pays du Golfe ou Singapour (par des fonds souverains), ont acheté ces titres qui offraient un rendement élevé et bénéficiaient d’une note de qualité de la part d’agences de notation. Ces agences de rating ou notation, en effet, attribuaient aux instruments financiers une note qui reflétait leur qualité.

La titrisation permettait ainsi une mutualisation des risques et engendrait une appréciable fluidité du marché financier, mais elle présentait l’inconvénient de créer un risque systémique dont les acteurs individuels n’évaluaient pas l’ampleur (On fait état de 2 millions de personnes environ en 2007-2008). Ce risque à effet domino déstabilisait l’ensemble du système.

1.2. La défaillance des emprunteurs

A partir de 2006, le marché de l’immobilier américain commençait à plafonner et même à enregistrer une baisse. Les ménages éprouvaient les difficultés à honorer les échéances de leurs emprunts du fait de l’augmentation des taux d’intérêt variables qui grimpaient après la période caractérisée par des taux très bas. La valeur patrimoniale des biens gagés (les logements) ne couvraient plus les créances, ce qui ne permettaient pas à l’emprunteur, soit de revendre le bien, soit de renégocier le calendrier de remboursement. Le schéma sur lequel étaient basés ces prêts hypothécaires s’effondrait.

Ainsi, le phénomène a mis en lumière les excès d’un marché immobilier dynamisé, au point de départ, par des taux d’intérêt variables qui étaient alors bas et par des prix de l’immobilier en constante progression. Les intermédiaires dont l’objectif était d’augmenter le volume de leurs opérations se sont adressés à des ménages dont la solvabilité était incertaine et qui se sont trouvés dans l’incapacité d’honorer leurs traites dès l’augmentation des taux d’intérêt.

1.3. Crédit et capacité d’emprunt

Aux Etats-Unis, le rapport à l’argent et au crédit est différent de l’Afrique. Le « prêt hypothécaire rechargeable » est un mécanisme qui traduit la confiance dans l’avenir. Il consiste en ce que les banques n’attendent pas qu’un crédit soit parvenu à son terme pour en proposer un autre. De même, lorsque la valeur du bien immobilier augmente, l’organisme de crédit offre la possibilité de nouveaux crédits (crédits immobiliers, crédits d’équipements ou crédits à la consommation) qui s’ajoutent au crédit précédent et ainsi de suite. De ce fait, l’emprunteur a souvent plusieurs crédits en cours. C’est une pratique courante qui fait dépendre la capacité d’emprunt des ménages de la valeur globale de leur patrimoine immobilier.

Cela constitue un danger pour les personnes qui empruntent ; d’autant plus que les habitudes de consommation ont poussé les ménages à utiliser ces facilités pour acheter toujours plus de biens de consommation et d’équipement. Dans le cas précédent et parmi ces ménages, les plus vulnérables n’étaient pas suffisamment n’étaient pas suffisamment avertis du risque encouru. Obligés de vendre leur logement, poussés à la rue, c’est pour eux que les conséquences ont été les plus dramatiques alors qu’ils pensaient accéder à la propriété de leurs logements.

1.4. La crise se propage sur le marché financier

Les techniques financières modernes, dont la tritrisation ont permis aux prêteurs immobiliers américains de diffuser leurs créances dans l’ensemble du système bancaire mondial. Les créances placées partout dans le monde par les banques et les sociétés financières, étaient largement détenues par des porteurs de titres qui attendaient le moment favorable pour les revendre en réalisant des plus values.

Les premières défaillances des acquéreurs de logement ont eu pour effet d’ébranler fortement la confiance du marché et la valeur de ces titres s’est rapidement effondrée. Dans l’ignorance de l’évolution du secteur immobilier américain et de l’ampleur des opérations en cause, les opérateurs inquiets, ont pesé sur le marché en cherchant à se délester de leurs titres.

De proche en proche, le système financier, qui repose sur la confiance entre les acteurs, s’est trouvé fragilisé. Ce qui caractérise la crise actuelle est que personne ne sait où est localisé le risque. Résultat, personne ne fait confiance à personne et tout le système entre en crise. Cela montre bien que tout le marché financier ne peut fonctionner sans la confiance.

Un à un les détenteurs des titres, établissements de crédit, fonds d’investissement spécialisés ont enregistré des pertes réelles (lors des ventes) ou potentielles (s’ils gardaient les titres en portefeuilles). Aussi les banques centrales (FED, BCE, Bank of England) ont-elles été amenées à intervenir pour sauver le système en y injectant des liquidités. De même, des opérations de recapitalisation ont été réalisées par plusieurs groupes bancaires de manière à reconsolider leur situation financière. Ces réactions rapides marquent la différence d’avec la crise de 1929.

Aujourd’hui, nul ne sait si la crise est maîtrisée, ni si l’on est en phase de stabilisation. En effet, les établissements financiers ne donnent des informations partielles ou tardives sur les pertes qu’ils enregistrent. L’inconscience des opérateurs qui imaginaient que le marché se régulerait tout seul atteint ici ses limites. Le marché n’a pas à lui seul toutes les vertus.

Il est vrai que l’endettement est un facteur de dynamisme : le marché permet en effet au crédit de financer des investissements susceptibles de maintenir, voire d’augmenter le taux de croissance. Mais des règles prudentielles efficaces voudraient davantage que les injections de fonds réparatrices pour restaurer la confiance sur laquelle tout le système repose.

Plusieurs Etats préparent une réforme pour éviter l’aggravation de la crise actuelle et l’apparition de nouvelles crises dans l’avenir. En effet, la crise de confiance sur le marché financier s’est traduite par le durcissement des conditions du crédit par les banques.

1.5. Une crise de type « subprime » peut-elle se produire en Afrique ?

Nous retrouvons ici une double question : celle de la demande de crédits immobiliers et celle du fonctionnement des établissements financiers. Même s’il est vrai que l’Afrique se distingue par une proportion de propriétaires inférieure à la moyenne, le désir très répandu de devenir propriétaire de son logement est un objectif qui incite les ménages à recourir au crédit immobilier hypothécaire. Sur ce marché, les conditions des prêts bancaires sont en Afrique, très contrôlées et dépendent du niveau de revenu et de solvabilité des emprunteurs. En règle générale les banques ne prêtent aux particuliers qu’une fraction de la valeur du bien acheté, ce qui limite sérieusement le risque de crédit, car ce dernier se trouve largement garanti par l’hypothèque prise sur l’immeuble concerné.

Pour les professionnels du secteur, la question est de savoir jusqu’où et jusqu’à quand prêter ? La réponse ne semble pas devoir être un « business as usual[8] » ni, à l’inverse, une interdiction aveugle. Elle réside dans l’adoption d’une attitude de responsabilité qui consiste à rendre le crédit accessible au plus grand nombre et à lutter contre le surendettement. Ces deux axes devraient être compatibles et inséparables, si l’on s’en donne les moyens techniques et la volonté. Ainsi, à ce jour la crise des subprimes s’est pas produite une fois déjà en Afrique[9] ; même si le système des prêts hypothécaires rechargeables n’existe pas à l’identique.

En revanche, il convient de rester vigilant car notre continent n’a pas été épargné par les effets secondaires de la crise. Non seulement, les épargnants ayant investi en des fonds soi-disant peu risqués, ont vu la valeur de leurs titres s’effondrer, mais les banques françaises ont à leur tour resserré l’octroi du crédit en raison de la crise de confiance sur le marché. Enfin, ces dernières ont été touchées et ont enregistré de lourdes pertes liées à cette crise du crédit. Cela montre combien nous vivons dans une économie mondialisée où les pays sont tous interdépendants. Aujourd’hui, aucune réponse ne peut venir du seul niveau national.

2. TROIS SÉRIES DE MESURES POURRAIENT ÊTRE MISES EN OEUVRE SIMULTANÉMENT

Dans le monde sans frontière qui caractérise les marchés financiers, une telle crise ne peut laisser indifférent. Elle a mis en évidence l’absence d’une instance financière de régulation au niveau mondial. Aujourd’hui il existe une addition de réglementations mais non un système de contrôle d’ensemble. Quelles institutions internationales, soutenues par les Etats, seraient capables d’établir et de faire appliquer des règles strictes ?

Une course de vitesse est engagée entre le développement spontané des activités financières et les Etats qui ne peuvent accepter que le libre jeu remette en cause des choix politiques ou sociaux.

Aussi est-il urgent que la maîtrise de l’économie financière soit renforcée pour rétablir la confiance entre les acteurs.

Cela suppose :

· Une meilleure réglementation des marchés financiers

· Des acteurs financiers recentrés sur l’économie

· Des épargnants qui résistent aux sirènes du rendement maximum.

Une meilleure réglementation des marchés financiers

La croissance économique est soutenue utilement par les financements offerts par les établissements financiers, mais l’action de ces derniers doit être aussi orientée vers le bien commun et non vers le rendement immédiat. Les institutions financières doivent s’obliger à proposer des crédits réellement adaptés aux besoins des emprunteurs et éviter de les mettre en péril.

La réglementation du marché du financement des particuliers doit les prémunir contre le "toujours plus" de crédit. À cet égard, la réglementation française sur le surendettement des ménages a été une avancée très positive.

Un deuxième exemple de réglementation du côté des organismes prêteurs a prouvé son efficacité. Il s’agit de l’instauration de règles prudentielles permettant de limiter le niveau d’engagement des banques en fonction de leur propre solidité financière. Elles sont tenues de disposer de fonds propres en proportion suffisante par rapport aux risques de crédit que comportent leurs opérations[10].

Reste à vérifier que ces règles soient adaptées[11] et que la pratique de la titrisation soit davantage encadrée.

L’enjeu est précisément une meilleure transparence des banques sur les risques qu’elles portent et sur ceux qu’elles font courir à leurs clients à travers les produits qu’elles leur proposent.

1. Des acteurs financiers recentrés sur l’économie

Selon l’observatoire de la Finance, « les progrès de la logique financière ont été facilités par la justification politique de la dérégulation[12] ». Le leitmotiv de l’efficacité fait de la rémunération du crédit un critère ultime d’action qui altère l’économie. Quand «  la finance prétend être sa propre fin et n’est plus mue que par le désir exclusif de profit, elle perd la tête[13] ».

Les entreprises, en particulier les plus grandes, ont vocation naturelle à réaliser la création de richesses sur la longue durée, compte tenu des moyens importants en hommes et en équipement qu’elles doivent mettre en œuvre pour remplir leur objet social. Il importe donc de réorienter le marché financier vers l’économie productive et sa croissance modulée par les exigences environnementales. Avec la création de richesses, l’économie peut alors être mise au service de l’homme et contribuer à son développement.

2. Des investisseurs qui résistent aux sirènes du rendement maximum

La spéculation financière ne concerne pas seulement de grandes institutions et des individus fortunés. Tout épargnant, quelle que soit la taille de son portefeuille, y participe via les fonds de placement, les sicav, les contrats d’assurance-vie auxquels il souscrit.

L’épargne est un processus qui concerne toute personne ayant la possibilité de mettre un peu d’argent de coté.

Chacun doit alors s’interroger sur ses comportements lorsqu’il veut faire fructifier son épargne. La recherche du rendement le plus élevé et le plus rapide conduit à exercer une pression excessive et des contraintes déraisonnables sur l’outil économique en exigeant des entreprises des plans sociaux drastiques, une politique tournée vers la rentabilité à court terme, des restructurations….

Pour que l’épargne participe de manière positive à l’épanouissement de la société, il importe de promouvoir les placements en faveur des emprunteurs qui respectent des critères de solidarité et de responsabilité sociale. Ils s’inscrivent ainsi dans la perspective donnée par Jean Paul II : "Le profit est un régulateur dans la vie de l’entreprise, mais il n’en est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d’autres facteurs humains et moraux qui à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l’entreprise[14]".

3. AU-DELÀ DE LA CRISE IMMOBILIÈRE, LA CRISE DES MATIÈRES PREMIÈRES

Au-delà des crédits "subprimes" la crise financière intervient dans un contexte économique marqué par une hausse considérable du prix des matières premières.

1. La flambée des prix des matières premières et ses causes

La hausse extraordinaire des prix des matières premières est le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs. C’est le fait que tous ces facteurs se soient manifestés au même moment qui explique la violence de la hausse. La plupart des analystes s’accordent à identifier cinq facteurs principaux :

1) La forte croissance de la demande

Entre 2001 et 2007, plus de la moitié de l’augmentation de la consommation de pétrole est imputable à la demande provenant de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient. Cela s’explique par l’urbanisation et l’industrialisation de ces pays, qui se sont nettement accélérées. Sont également concernés les métaux et certaines denrées alimentaires comme le blé, le maïs et le riz.

2) Le développement des biocarburants provenant des pays émergents

Les politiques incitatives menées en Afrique et surtout aux Etats-Unis en faveur de l’utilisation de l’éthanol (qui est produit à partir du maïs et de la canne à sucre) ont entraîné une forte hausse de la demande pour ce produit. Par ricochet, cela est venu accroître la demande pour les matières premières concernées. Aujourd’hui environ 25 % de la production de maïs est utilisée pour la fabrication de biocarburants.

3) Structurellement, l’ajustement de l’offre à la demande ne se fait pas facilement pour les matières premières.

En théorie, quand la demande pour un produit augmente, l’offre s’adapte par un accroissement des capacités de production. Cet ajustement de l’offre permet aux prix de rester stables. Pour les matières premières, il est très difficile d’adapter rapidement l’offre aux variations de la production. Que l’on pense aux difficultés nouvelles d’extraction du pétrole, et surtout au caractère aléatoire de la production agricole en dépendance des conditions climatiques. Certains analystes annoncent que la récolte 2008 sera difficile en raison de mauvaises conditions météorologiques et que cela pèsera à nouveau sur les prix.

4) La forte corrélation entre les différentes matières premières entraîne une diffusion de la hausse des prix à tout le marché

Illustration : la hausse de la demande d’éthanol entraîne une hausse du prix du maïs. Celle-ci se transmet ensuite aux denrées alimentaires qui utilisent le maïs dans leur chaîne de production (par exemple la viande, les volailles,…). De même la hausse du prix du pétrole se répercute dans les coûts de production agricoles et in fine sur le prix de vente.

5) Les matières premières sont devenues une cible très attractive pour les investisseurs financiers.

Tout d’abord il faut rappeler que les marchés financiers de matières premières (où l’on peut acheter et vendre des contrats d’achat à terme de blé ou de pétrole, sans jamais détenir ni utiliser réellement les produits en question) existent depuis des décennies. Les premiers marchés organisés furent d’ailleurs historiquement ceux des matières premières (à Chicago). À l’origine ces marchés étaient destinés aux professionnels du secteur. La nouveauté dans la situation actuelle est que ces marchés sont utilisés par des intervenants totalement extérieurs qui veulent investir sur les matières premières pour profiter de la hausse des prix. Ils effectuent donc des placements sur le blé ou le pétrole, plutôt que d’acheter des actions, des obligations ou des immeubles. Les matières premières sont pour eux une bonne source de diversification des investissements.

Il s’agit donc d’investisseurs institutionnels (compagnies d’assurances, fonds de pensions, instituts de prévoyance, banques,…) qui sont attirés par le potentiel de hausse de ces placements. Ce faisant, ils contribuent à accroître la demande et donc à tirer les prix vers le haut. D’autres acteurs purement spéculateurs viennent ensuite se greffer sur ce mouvement (fonds spéculatifs, etc.). Ils participent au mouvement et l’accélèrent. Ils contribuent ainsi à l’aggravation de la crise.

2. Remarques d’analyse

On note tout d’abord que les deux principales causes de la hausse des prix (§ 1 et 2) se résument à une hausse de la demande. Il s’agit bien là d’économie réelle et non d’une quelconque spéculation. Le fait déclencheur est que des populations (pays émergents) ou des industries (biocarburants dans les pays développés) ont soudain accru fortement leur demande de matières premières. L’origine de la hausse des prix est bien celle-là.

Il s’agit d’un mécanisme habituel et compréhensible. Il importe de souligner que la nouvelle demande provient de pays émergents qui accèdent enfin à un niveau de vie supérieur, ce que l’on ne saurait regretter. Les paragraphes 3, 4 et 5 sont des facteurs aggravants, qui amplifient le phénomène sans en être la cause principale. La spéculation en fait partie. La spéculation joue donc un rôle dans la crise actuelle, même si c’est un rôle d’ordre second. Elle amplifie le phénomène ; elle n’est pas à son origine.

Comme toujours, la réalité est complexe. Les émeutes de la faim manifestent une injustice terrible : les plus pauvres sont les perdants de la crise actuelle. Ils ne sont pas en mesure de bénéficier des aspects positifs de la hausse des prix. Car des aspects positifs existent pour certains. N’oublions pas que les pays producteurs de matières premières sont souvent des pays en développement (Amérique Latine, Asie, Afrique, Moyen-Orient). La hausse des prix profite à ces pays producteurs. Elle pénalise en revanche les consommateurs pauvres des pays non-producteurs et ceux des pays producteurs qui ne sont pas insérés dans le système économique local et ne bénéficient donc pas de la croissance.

On constate ainsi une réalité déjà mentionnée, dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, la croissance semble accroître les inégalités. La croissance est en soi positive, mais la richesse ainsi créée n’est pas également répartie et, par un effet d’accélération, certains engrangent des bénéfices toujours plus grands et les perdants se trouvent toujours plus repoussés à distance. En clair, le fossé se creuse. Le niveau moyen monte mais les écarts s’accroissent.

3. Quelques questions

Tout d’abord, la question du souci des plus pauvres. Cette crise est aussi injuste que le développement de l’économie en général depuis 20 ans. Elle en a les mêmes caractéristiques négatives avec en plus la violence d’une crise : elle accroît les inégalités. Une fois de plus, ce sont les plus faibles qui souffrent davantage. Comment les protéger ? La hausse des matières premières devrait profiter aux pays producteurs dont certains sont des pays émergents. Mais comment organiser une juste répartition des richesses produites ? L’accumulation de richesses considérables dans les pays producteurs de pétrole pour une faible densité de population résidente, pose à notre monde une question majeure.

La question fondamentale au sujet des matières premières notamment des denrées alimentaires (le cas du pétrole étant à part) est de savoir s’il s’agit de produits comme les autres ? La vie elle-même est en jeu quand on parle de biens destinés à nourrir les hommes. Cela n’impose un traitement particulier de la part des marchés financiers. La nature très particulière de ces biens nous de les protéger. Cela a d’ailleurs toujours été le cas : la politique européenne a d’abord été une politique agricole commune, consistant à protéger les activités agricoles et à encadrer leurs prix. Ne faudrait-il pas de même interdire certaines activités financières sur les denrées alimentaires, qui ne peuvent être un objet de spéculation comme un autre ? Ceci permettrait d’éviter que des phénomènes purement financiers ne viennent fausser la fixation des prix et les tirer artificiellement à la hausse.

Ces crises financières et alimentaires questionnent nos modes de vie. Il a pu apparaître que le développement des biocarburants allait permettre une amélioration de l’empreinte écologique sur l’environnement. Au terme de quelques années, on se rend compte que cela contribue à déstructurer les agricultures vivrières. Il est donc urgent de revoir cette politique. Plus globalement, le jour est arrivé de nous préparer à revoir à la baisse notre consommation d’énergie, nos habitudes alimentaires. Mais aussi et surtout de revoir la politique d’exportation des produits agricoles subventionnés vers les pays du Sud en favorisant davantage le développement des agricultures locales.

Père AKE Patrice Jean, Vice-président de l’UCAO-UUA

Pake.uua@ucao-cerao.org


[1] VARIAN (Hal, R.).- Introduction à la microéconomie (Belgique, De Boeck Université 2003), p. 7

[2] BANQUE MONDIALE.- Qualité de la croissance. (Belgique, De Boeck 2002), p. XXV

[3] BANQUE MONDIALE.- Qualité de la croissance. (Belgique, De Boeck 2002), p. XXV

[4] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 207

[5] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 207

[6] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 208

[7] VARIAN (Hal, R.).- Introduction à la microéconomie (Belgique, De Boeck Université 2003), p. 210.

[8] « Business as usual » : les affaires sont les affaires.

[9] Le cas de la Procure des Missions Africaines d’Abidjan en 2006-2007. Un certain Ryan, courtier en bourses, a fait de mauvais placements aux Etats-Unis avec l’argent de tous les prêtres de Côte-d’Ivoire. Le système financier de l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire est en banqueroute. La Procure essaie, en vain des solutions neuves pour un sauvetage économique. Mais il y a un manque de confiance entre les acteurs et la banque.

[10] Ratio Cooke et aujourd’hui ratio Mc Donough (Bâle II).

[11] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise n° 369 (Paris, Cerf 2005), p. 207.

[12] Observatoire de la finance : Manifeste pour une finance au service du bien commun.

[13] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise n° 371(Paris, Cerf 2005), p. 208

[14] Jean Paul II – Encyclique Centesimus annus § 36 – 1991.

O.S.E.R.

septembre 18, 2008

INTRODUCTION

          Réfléchir sur la voiture aujourd’hui, c’est replonger dans mon enfance, où déjà comme un enfant je fabriquais des voitures. De ce temps-là j’ai d’abord été ouvrier d’usine, regardant les grands frères du quartier plus expérimentés, à l’oeuvre: je redressais les barbelés que la fortune nous laissait, simples clôtures des maisons, à l’insu des propriétaires. Je découpais les caoutchoucs, devant servir à attacher les fers pour les assemblages. Puis d’observateur, simple apprenti, je suis devenu fabriquant et vendeur. Au quartier résidentiel de Marcory, l’enfant du Groupement Foncier(G.F.C.I.) arrivait à décrocher de grandes commandes. Parfois le véhicule que je conduisais pouvait plaire au fils d’un Européen qui me payait cash…Je repartais alors heureux. Ou bien lui-même m’expliquait ce qu’il voulait et je m’y attelais. Adolescent, je me suis épris des manèges: là aussi je conduisais vraiment, mais il fallait de l’argent que les parents ne nous donnaient pas toujours. Conduire une voiture, avoir une voiture, c’était d’abord un rêve de tout enfant: j’avais même fait une promesse à ma mère que si je commençais à travailler, je lui offrirais une petite voiture rouge. Promesse que je n’ai pas encore tenue.

          Quand je suis entré dans la vie religieuse et après ma prise de soutane, les parents, qui n’étaient pas bien informés, ont pensé que le temps était venu pour moi de passer le permis de conduire. J’ai pu l’obtenir mais aucun grand frère et aucune grande soeur ne m’a fait confiance pour la conduite. Je me suis véritablement fait la main en paroisse, avec ma première voiture de fonction. C’est à partir de ce jour que mes frères et soeurs ont arrêté de me donner de l’argent de poche parce que j’étais devenu quelqu’un dans la vie.

1. AVOIR UNE VOITURE EN AFRIQUE, C’EST DEVENIR QUELQU’UN

          L’Africain d’aujourd’hui pense qu’avoir une voiture c’est être quelqu’un d’important, quelqu’un qui a les moyens de se prendre en charges. En fait, ce sont pas tous ceux qui travaillent qui ont des véhicules. Au-delà du caractère possessif de l’être africain qui ne pense qu’à posséder, j’oserai(o.s.e.r.), ensuite, véritablement le vrai sens de la voiture(c’est l’énigme du titre que je dévoilerai alors en ce moment).

          Entre l’insolence des cadres d’Angré qui prennent l’Express tous les matins pour se rendre à leur lieu de travail et l’apprenti Gbaka d’Anyama ou d’Abobo qui conduit son premier Gbaka ou son premier taxi, ou son premier wôrô-wôrô, en remplacement de son patron, il n’y a pratiquement aucune différence, sauf le même instinct de domination. Les premiers sont tellement orgueilleux et suffisants, qu’une fois dans l’Express, ces cadres se croient encore à la maison dans leur salon. Qaunt aux seconds nommés, c’est la même démesure: d’abord congénitalement attardés, ils font des accidents spectaculaires qui résument leur intelligence. La façon dont l’avant d’un Gbaka prend la route, lors d’un dépasement est l’expression même de leur attardement. Ils sont tout simplement inintelligents. Rustes à souhait, les coxers ne sont pas mieux: ils parlent par onomatopée et paraissent tout le temps comme des drogués. Au niveau de l’environnement, c’est la même catastrophe. Tous ces véhicules empestent comme ce n’est pas possible. Il n’existe aucune norme à la matière. Un de mes amis qui a fait un bilan de santé en Suisse s’est vu interroger sur sa relation à la cigarette. Il était non fumeur mais son coeur était tout noir par la faute de la pollution de l’air atmosphérique de son quartier.

          Je quitte les cadres moyens et les petites gens pour aller plus haut: les en haut de en haut comme on les appelle ici. Ils se reconnaissent par leurs véhicules tout terrains, leurs vitres teintées et surtout par les sirènes et le cortège de garde de corps qui vous jettent hors de leur trajectoire: ils ne respectent pas les feux de la circulation. A Cocody où l’occasion m’est donné de les apercevoir souvent, ils ressemblent à des cercueils ambulants, tellement la couleur noire du véhicule s’ajoute au caractère lugubre du sinistre occupant. Comme un coup de vent, ils passent, montrant leur vacuité semblable à la fleur de champ, sans faire de bruit mais ils pensent que la route et le temps leur appartiennent. Au moment où les U.S.A. et l’Europe arrêtent la fabrication de ces véhicules pour celles qui privilégient la bio-thermie et thermo-électricité, nos frères nantis s’offrent les véhicules tous terrains et qui, en Europe et qui aux U.S.A. Si l’Américain qui a du dollard, préfère vendre sa Pajero ou sa Hammer ou autre pour s’acheter une petite voiture qui consomme moins de carburant, l’Africain n’a rien trouvé de mieux que de racheter ce cadeau empoisonné. Dans un avenir très proche tous ces véhicules seront marqués "à vendre" et l’Afrique, dejà poubelle de l’humanité deviendra le cimetière des voitures indésirables. Mais pourquoi un tel engouement pour ce genre de véhicule?

          En plus du fait que l’Africain aime paraître, il y a une vérité qui ne trompe personne: nous n’avons plus de routes en bon état. Nous passons plus de temps à éviter les trous sur la route qu’à conduire. Souvent il nous est impossible de les éviter et nous tombons dedans, en priant pour ne pas tomber trop profond. Parfois, par temps de pluie ou par mauvaise électrification, nos amortisseurs ou autres joints de freins volent en éclats. Un ami me confiait un jour, qu’en rentrant chez lui, un soir de pluie, vers la P.I.S.A.M., il voyait que tous les véhicules qui le précédaient, à un endroit précis, ralentissaient et déviaient avant de reprendre la droite ligne. Trouvant cette déviation stupide, il décida de gagner du temps en allant plus vite, par le raccourci, mais grande fut sa désillusion. Un grand ravin l’attendait là. Et les dépenses et la récupération de la voiture… Il est à présent temps de revenir à notre seconde partie.

2. LE VRAI SENS DE LA VOITURE

          J’ai souvenir d’un beau texte de Robert Littell, de son ouvrage Read America first en classe de 2è où l’auteur nous fit découvrir Henry Ford. Pour cet auteur, Ford est peut-être l’un des exemples les plus intéressants et les plus lointains, de ce que dans le monde, un homme puisse avoir une idée fixe qui ne le quitta jamais. Il y a longtemps que cette idée habita Ford. Il s’est dit un jour: "Je vais construire un véhicule pour le commun des hommes", car il est évident que ce sont seulement les riches qui peuvent se procurer un véhicule de son temps.

          Henry Ford, ce fils de fermier qui devint l’une des plus grandes figures de l’industrie automobile, trnasforma, par les techniques de production de masse, la voiture, du jouet de l’homme riche, en une force sociale. En 1913, Ford institua le système du travail à la ligne. Les différentes pièces du véhicule continuaient leur chemin, la courroie de transmission passait devant les travailleurs qui n’avaient chacun à poser, la pièce qui lui revenait. Par cette méthode, le pris de base du fameux modèle T tomba de 950 dollards U.S à 360 dollards. Dans le même temps, Ford éleva les salaires journaliers de 2.40 dollards U.S à 5 dollards et réduisit les heures de travail de 9 à 8 . Le résultat fut que les masses devinrent elles aussi propriétaires de véhicules. En 1914, la production annuelle des véhicules s’éleva aux U.S.A  à 569.000. EN 1929 il fut de 5.621.000. L’exemple de l’Usine Ford est une prophétie qui s’est parfaitement accomplie qui dit que pour bien prospérer dans la vie, il faut faire du bien et procurer de la joie à la multitude.

          La voiture a été la plus belle invention de ce siècle. Elle le sera davantage si elle continue d’unir les hommes, de rapprocher les distances qui les sépare, de rassembler ce qui est dispersé. L’homme est un créateur, Dieu lui a donné la possibilité de l’imiter. En fabriquant la voiture, l’homme imite Dieu. Il lui faut de ce fait rendre grâce à Dieu, pour toutes ces générations jusqu’à aujourd’hui afin de réaliser les merveilles d’aujourd’hui. Mais pourquoi tant de méfiances autour de la voiture?

          Une de mes connaissances qui habite les Deux Plateaux, m’a dit avoir peur de rendre visite à ses parents qui habitent Akromian-Bla, parce qu’il a peur d’être victime d’un braquage de voiture? Pourquoi tant d’isolence des Rebfondateurs(Rebellion+Refondateurs) dans leurs véhicules alors que nous sommes encore en guerre? Sirènes et cortèges de véhicules qui ne s’arrêtent à aucun feu de signalisation, et qui vous dégagent de la route.

          Conduire une voiture, c’est avoir l’esprit toujours en prière, pour éviter de prononcer de gros mots. Philosopher au volant d’une voiture. Tout dépend de ce qu’on écoute au volant. Certaines radios étrangères par leurs commentaires et leurs spots publicitaires pourraient vous donner l’hypertension. Chaque véhicule, chaque route devrait êtreun sujet de méditation. Il y a l’égoïsme des chaffeurs sur les routes qui occupent la route si toute la chaussée leur appartenait. Souventefois, en voyant de personnes me dépasser, je me suis demander s’ils pensaient que leurs freins pouvaient un jour lâcher. Certaines routes, certains recoins de routes me rappelaient certaines pannes sèches de voiture, certains ennuis mécaniques…

CONCLUSION

          Si je devais conclure cet article, j’aurais une pensée spéciale pour tous nos mécaniciens ou garagistes. Y-a-t-il une différence? Je pense que oui. La plupart de ces personnes sont des garagistes et non des mécaniciens. Les mécaniciens sont ceux qui ont étudier la mécanique et qui ne se contentent pas seulement de changer les pièces de votre véhicule. Mlle Gnagne Arlette est l’une d’entre elle. Elle a étudié la mécanique à Jacqueville. D’elle j’ai appris un jour que la voiture est comme un corps humain dont nous devons prendre soin. Au moindre bobo il faut voir votre mécanicien. N’attendons pas les grandes pannes, mais soyons attentifs au moindre toussotement de nos véhicules, au moindre rhume. Je termine donc par ce spot de Renault: "Je rêve d’un monde où l’automobile ne laisse aucune trace sur la planète".

Père AKE Patrice Jean, Philosophe

HARMONY AND TRANSCENDENCE

septembre 13, 2008

HARMONY AND TRANSCENDENCE

INTRODUCTION

The last half century might be said to have been marked especially by the march of mankind toward freedom. From the famous “Long March” of Chinese lore in the thirties, to the “march on Washington” by Martin Luther King in the sixties, to the world-wide social reforms in the eighties, the aspiration of freedom has electrified hearts, evoked great sacrifices and definite human progress in our age. This suggests that we might helpfully reflect upon society and the relation of the person thereto by focusing upon the different notions of freedom and attempting to see the implication of each for life in society. In this context, new appreciation may prove possible of the special contribution that African’s spirit can make to our times.

The paper will proceed by first considering three basic and successive notions of freedom which have emerged in the tradition of Western philosophy: (1) choice as a minimal sense of freedom found in classical British philosophies of the liberal tradition and common in our day ;( 2) Kant’s formal sense of freedom ;( 3) Kant’s development of an integrating aesthetic view. It will then consider how the third of these can be enhanced by the African philosophical traditions, and hence the essential contribution which African’s spirit can make to the effort of Africa to integrate science and democracy in this century.

LEVELS OF FREEDOM

LEVEL I: EMPIRICAL FREEDOM: TO CHOOSE WHAT ONE WANTS

At the beginning of the modern stirrings for democracy John Locke perceived a crucial need. If decisions were to be made not by the king, but by the people, the basis for these decisions had to be equally available to all. To achieve this Locke proposed that we suppose the mind to be a white paper void of characters and ideas, and then follow the way in which it comes to be furnished. To keep this public he insisted that it be done exclusively via sense experience, that is, either by sensation or by reflection upon the mind’s work on the materials derived from the senses[1]. From this, David Hume concluded that all objects of knowledge which are not formal tautologies must be matters of fact. Such “matters of fact” are neither the existence or actually of a thing nor its essence, but simply the determination of one from a pair of sensible contraries, e.g. white rather than black, sweet rather than sour[2].

The restrictions implicit in this appear starkly in Rudolf Carnap’s “Vienna Manifesto” which shrinks the scope of meaningful knowledge and significant discourse to describing “some state of affairs” in terms of empirical “sets of facts”. This excludes speech about wholes, God, the unconscious or entelechies; the grounds of meaning as well as all that transcends the immediate content of sense experience are excluded.

In such terms it is not possible to speak of appropriate or inappropriate goals or even to evaluate choices in relation to self-fulfillment. The only concern is which objects among the sets of contraries I will choose by brute, changeable and even arbitrary will power, and whether circumstances will allow me to carry out that choice. Such choices, of course, may not only differ from, but even contradict the immediate and long range objectives of other persons. This will require compromises and social contracts in the sense of Hobbes; John Rawles will even work out a formal set of such compromises[3]. Throughout it all, however, the basic concern remains the ability to do as one pleases.

This includes two factors. The first is execution by which my will is translated into action. Thus, John Locke sees freedom as “being able to act or not act, according as we shall choose or will[4]”; Bertrand Russell sees it as “the absence of external obstacles to the realization of our desires.[5]” The second factor is individual self-realization of our desires understood simply as the accomplishment of one’s good as one sees it. This reflects one’s personal idiosyncrasies and temperament, which in turn reflect each person’s individual character.

In these terms, Mortimer Adler points out in his study of freedom at the institute for Philosophical Research one’s goal can be only what appeals to one, with no necessary relation to real goods or to duties which one ought to perform[6]. “Liberty consists in doing what one desires[7],” and the freedom of a society is measured by the latitude it provides for the cultivation of individual patterns of life[8]. If there is any ethical theory in this it can be only utilitarian, hopefully with enough breadth to recognize other people and their good as well as one’s own. In practice, over time this comes to constitute a black-hole of self-centered consumption of physical goods in which both nature and person are consumed, this is the essence of consumerism.

This first level of freedom is reflected in the contemporary sense of “choice” in North America. As a theory, this is underwritten by a pervasive series of legal precedents following Justice Holmes’notion of privacy, which now has come to be recognized as a constitutional right. In the American legal system the meaning of freedom has been reduced to this. It should be noted that this derived from Locke’s political decision (itself an exercise of freedom) to focus upon empirical knowledge or concern. Its progressively rigorous implementation, constitute an ideology in the sense of a selected and restrictive vision which controls minds and reduces freedom to willfulness. In this perspective liberalism is grossly misnamed, and itself calls for a process of liberation and enrichment.

LEVEL II. FORMAL FREEDOM: TO CHOOSE AS ONE OUGHT

Kant provides the basis for another, much richer, notion of freedom which Mortimer Adler has called “acquired freedom of self-perfection.” It acknowledges the ability of the human being to transcend the empirical order and to envisage moral laws and ideals. This direction has been taken by such philosophers as Plotinus, Spinoza and Bradley who understood all in terms of ideal patterns of reason and of nature. For Kant freedom consists not in acting merely as one pleases, but in willing as one ought, whether or not this can be enacted.[9] Morals standards are absolute and objective, not relative to individual or group preferences.[10] How they can remain nevertheless autonomous emerges in the evolution of Kant’s three critiques.

In his first Critique of Pure Reason, Kant developed a theory of knowledge for the universal and necessary laws of the physical sciences. Reductionist philosophies such as positivism are happy to leave the matter there, for the necessity of the sciences gives control over one’s life, while their universality extends this control to others. If Kant’s categories could lend rational order to the random empirical world of facts, then positivism could achieve Descartes’s goal of walking with confidence in the world.

For Kant, however, this simply will not do. Clarity which comes at the price of necessity may be acceptable and even desirable for works of nature, but it is an appalling way to envisage human life. Hence, in his Foundations of the Metaphysics of Morals, Kant proceeds to identify that which is distinctive of the moral order. His analysis pushes forcefully beyond utilitarian goals, inner instincts and rational (scientific) relationships – precisely beyond the necessitated order which can be constructed in terms of his first Critique. None of these recognizes that which is distinctive of the human person, namely, freedom. For Kant, in order for an act to be moral it must be based upon the will of the person as autonomous, not heteronymous or subject to others or to necessary external laws.

This becomes the basic touchstone of his philosophy; every thing he writes thence forward will be adapted thereto, and what had been written before will be recontextualized in this new light. The remainder of his Foundations and his second Critique of Practical Reason will be composed in terms of freedom. Later his third Critique of the Faculty of Judgment will be written in order to provide a context that enables the previous two critiques to be read in a way that protects human freedom.

In the Foundations he recasts the whole notion of law or moral rule in terms of freedom. If all must be ruled or under law, and yet in order to be free the moral act must be autonomous, then my maxim must be something which as a moral agent I – and no other – give to myself.

This, in turn, has surprising implications, for if the moral order must be universal, then my maxim which I dictate to myself must be fit to be also a universal law for all persons.[11] On this basis freedom emerges in a clearer light. Is not the self-centered whimsy of the circumstantial freedom of self-realization described above; but neither is it a despotic exercise of the power of the will; finally, it is not the clever self-serving eye of Plato’s rogue.[12]Rather, as the highest reality in all creation, freedom is power that is wise and caring, opens to all and bent upon the realization of “the glorious ideal of a universal realm of ends-in-themselves.” It is, in sum, free men living together in righteous harmony.[13]

LEVEL III. EXISTENTIAL FREEDOM: AESTHETIC HARMONY

Despite its central importance, I will not remain longer on practical reason because it is rather in the third Critique of the Faculty of Judgment that Kant provides the needed context for such harmony.[14] In so doing he approaches the aesthetic sensibility of African’s spirit in articulating the cosmic significance of freedom. Kant is intent not merely upon uncovering the fact of freedom, but upon protecting and promoting it. Ha faces squarely the modern person’s most urgent questions.

How can this newly uncovered freedom survive when confronted with the necessity and universality of the realm of science – and its implications for technology – as understood in the Critique of Pure Reason? Will the scientific interpretation of external nature force free-dom back into the inner realm of each person’s heart where it would be reduced at beast to good intentions or good feelings towards others?

When we attempt to act in this world or to reach out to others must all our categories be universal and hence insensitive to that which marks others as unique and personal; must they be necessary, and hence no room for creative freedom? If so then public life can be only impersonal, necessitated, repetitive and stagnant.

Must the human spirit be reduced to the sterile content of empirical facts or to the necessitated modes of scientific laws? If so then philosophers cannot escape what for wisdom is a suicidal choice between either being traffic directors in the jungle of unfettered competition or sharing tragic complicity in setting a predetermined order for the human spirit.

Freedom would indeed have been killed and would pulse no more as the heart of humankind.

Before this threat Kant’s answer was a resounding: No! Taking as his basis the reality of freedom – so passionately and often tragically affirmed in our lifetime by Gandhi and Martin Luther King – Kant proceeded to develop his third Critique of the Faculty of Judgment as a context within which freedom and scientific necessity could coexist, indeed in which necessity would be the support and instrument of freedom.

For this Kant found it necessary to distinguish two issues as reflected in the two parts of his third Critique. In the “Critique of theological Judgment[15]”he acknowledges that nature and all reality must be teleological, for if there is to be room for human freedom in a cosmos in which one can make use of necessary laws, if science is to contribute to the exercise of human freedom, then nature too must be directed toward a goal and manifest throughout a teleology with which free human purpose can be integrated.

In these terms nature, even in its necessary and universal laws, is no longer alien to freedom, but expresses divine freedom and is concealable with human freedom. The structure of his first Critique will not allow Kant to affirm this teleological character as a metaphysical reality, but he recognizes that we must proceed “as if” all reality is teleological precisely because of the undeniable reality of human freedom in an ordered universe.

If, however, teleology in principle provides the needed space, there remains a second issue of how freedom is exercised, namely, what mediates it to the necessary and universal laws of science? This is the task of “Critique of Aesthetic Judgment[16]”where the imagination plays the key integrating role in enabling a free person to relate to a necessary order of nature and to given structures in society in ways that are neither necessitated nor necessitating.

There is something similar here to the Critique of Pure Reason. In both, the work of the imagination in assembling phenomena is not simply to register, but to produce the objective order. As in the first critique the approach is not from a set of a priori principles which are clear all by themselves and are in order to bind the multiple phenomena into a unity. On the contrary, under the rule of unity the imagination orders and reorders the multiple phenomena until they are ready to be informed by a unifying principle whose appropriateness merges from the reordering carried out by the productive imagination.

In the first Critique, however, the productive work was done in relation to the abstract and universal categories of the intellect and carried out under a law which dictated that phenomena must form a unity. Hence, although it was a human product, the objective order was universal and necessary and the related sciences were valid both for all things and for all people[17].

In the “Critique of the Aesthetic Judgment”, in contrast, the imagination in working toward an integrating unity is not confined by the necessitating structures of categories and concepts, but ranges freely over the full sweep of reality in all its dimensions to see whether relatedness and purposiveness can emerge. Hence, in standing before a work of nature or of art it might focus upon light or form, sound or word, economic or interpersonal relations – or, indeed, upon any combination of these in a natural environment or a society, whether encountered concretely or expressed in symbols.

Throughout all of this the ordering and reordering by the imagination can bring about numberless unities. Unrestricted by any a priori categories, it can integrate necessary dialectical patterns within its own free and therefore creative production, and scientific universals within its unique concrete harmonies.

This properly creative work of the human person in this world extends the realm of human freedom to the whole of reality. For this harmony is appreciated not merely intellectually in terms of its relation to a concept or schema (the first Critique), nor morally in relation to the force of a just will (the second Critique), but aesthetically by the pleasure or displeasure of the free response it generates. What manifests whether a proper and authentic ordering has or has not been achieved is not a concept[18], but the pleasure or displeasure, the elation at the beautiful and sublime or the disgust at the ugly and revolting, which flows from our contemplation or reflection.

One could miss the integrating character of this pleasure or displeasure and its related judgment of taste[19]. This would be so if one looked at it ideologically as simply a repetition of past tastes in order to promote stability, or reductively as merely an interior and purely private matter at a level of consciousness available only to an elite class or related only to an esoteric band of reality. That would ignore the structure which Kant laid out at length in his first “Introduction” to his third Critique[20]. He noted there that he conceived this third critique not as merely juxtaposed to the first two critiques of pure and practical reason, but as integrating both in a richer whole.

This opens a rich prospect for freedom in society. It need no longer be simply the capacity of the individual to gather goods about oneself, nor at the second level of freedom to set universal laws. Beyond this it is the capacity creatively to integrate both of these in a process of shaping one’s personal and social life in a unique and beautiful manner. In society this, indeed, becomes the reality of culture. Let us look more closely at this with special attention to the contribution African’s people can make to this challenge of the exercise of social life through technology.

A suivre….

Father AKE PATRICE JEAN

pakejean@yahoo.fr

 

AFRICAN CULTURE AND FREEDOM IN A TECHNOLOGICAL SOCIETY

 

                                         


[1] John LOCKE.- An Essay Concerning Human Understanding (New York: Dover, 1959), Book, Chap. I, Vol. I, 121-124

[2] David HUME.- An Enquiry Concerning Human Understanding (Chicago: Regnery, 1960)

[3] The Theory of Justice (Cambridge : Havard Univ. Press, 1971)

[4] An Essay Concerning Human Understanding A.C. Fraser, ed. (New York: Dover, 1959), II, ch. 21, sec. 27; vol. 1, p. 329

[5] Skeptical Essays (London : Allen 1 Unwin, 1952), p. 169

[6] Mortimer J. ADLER.- The Idea of Freedom: A Dialectical Examination of the Conceptions of Freedom (Garden City, New York, Doubleday, 1958), p. 187.

[7] J. S. MILL.- On Liberty, ch. 5, p. 15

[8] ADLER, p. 193

[9] Ibid., p. 253.

[10] Ibid., p. 257.

[11] Immanuel KANT.- Foundations of the Metaphysics of Morals, trans. R.W. Beck (New York: Bobbs-Merrill, 1959), Part II, pp. 38-58 [ 421-441]

[12] PLATO.- Republic 519

[13] Foundations, III, p. 82 [463]

[14] Cf. Hans Georg GADAMER.- Truth and Method (New York: Crossroads, 1982), Part I, pp. 1-2, pp. 39-73; and W. Crawford, espec. Ch. 4.

[15] Immanuel KANT.- Critique of Judgment, trans. J.H. Bernard (New York: Hafner, 1968), pp. 205-339

[16] Ibid., pp. 37-200

[17] Immanuel KANT.- Critique of Pure Reason, trans. N.K. Smith (London: Macmillan, 1929), A 112, 121, 192-193. Donald W. Crawford.- Kant’s Aesthetic Theory (Madison: University of Wisconsin, 1974), pp. 83-83, 87-90.

[18] See Kant’s development and solution to the autonomy of taste, Critique of Judgment, nn. 57-58, pp. 182-192, where Kant treats the need for a concept; Crawford, pp. 63-66.

[19] See the paper of Wilhem S. Wurzer “On the Art of Moral Imagination” in G. McLean, ed., Moral Imagination and Character Development (Washington: The Council for Research in Values and Philosophy, 1991), for an elaboration of the essential notions of the beautiful, the sublime and the taste in Kant’s aesthetic theory.

[20] Immanuel Kant.- First Introduction to the Critique of Judgment, trans. J. Haden (New York: Bobbs-Merrill, 1965)

EGLISE CATHOLIQUE ET EVENEMENTS POLITIQUES 1960-2006

juin 26, 2008

ÉGLISE CATHOLIQUE et ÉvÉnements politiques (1960-2005) : ÉtUDE DES LETTRES PASTORALES Des ÉVÊQUES DE CÔTE D’IVOIRE

Qu’il nous soit permis avant tout de saluer et de remercier tous ceux qui sont présents dans cette salle, toutes les personnes qui nous ont fait l’amitié de nous accorder un peu de leur précieux temps. Nous remercions spécialement nos éminents professeurs : M. Launay, M. Prudhomme, M. Langlois et M. Ekanza arrivé hier d’Abidjan. Nous les remercions d’avoir accepté, malgré leurs nombreuses occupations, de faire partie de l’examen de notre thèse. Thèse dont le titre est : « Église catholique et événements politiques (1960-2005) : étude des lettres pastorales des évêques de Côte d’Ivoire. »

Pourquoi avons-nous choisi ce sujet ? Préparant en 2001 une conférence sur le thème « L’Église catholique et la politique en Côte d’Ivoire », conférence qui nous avait été demandée par un groupe d’étudiants catholiques d’Abidjan, nous nous rendîmes compte que les travaux sur le sujet[1], bien qu’intéressants, n’étaient pas pleinement satisfaisants. En effet, la thèse de Yao Bi, défendue en 1991 à l’Université Paris I-Sorbonne, est consacrée aux influences du catholicisme sur la société ivoirienne et couvre la période qui va de 1930 à 1960 ; celle de Marc Kouamé, qui étudie les rapports entre État et Église en Côte d’Ivoire, s’arrête en 1990 même si elle a l’avantage de s’intéresser aux années post-indépendance. Le principal reproche que l’on peut faire au mémoire de licence d’Antonio Porcellato, soutenu en 1982, c’est qu’il n’examine que les lettres et homélies de Bernard Yago. Emmanuel Zabsonré échappe à ce reproche puisqu’il a choisi de parler de l’Évangile dans le contexte socio-politique ivoirien. Si son mémoire écrit en 1992 soulève de vraies questions, les réponses à ces questions nous semblent cependant rapides et sommaires. Citons enfin la compilation de Bernard Tondé qui, tout en présentant les discours des évêques, omet d’en souligner les points forts et les faiblesses. En outre, cette compilation porte sur la période 1965-2000. Or ce que nous recherchions, c’est une étude qui, en plus de traiter des lettres pastorales des évêques de Côte d’Ivoire sur les événements politiques survenus de 1960 à 2005, se prononce sur ces lettres. C’est d’abord pour combler ces lacunes que nous avons choisi ce sujet. La deuxième raison est que ce sujet nous permettait de rester dans le domaine de l’engagement politique du clergé en Afrique, notre sujet de mémoire pour la maîtrise en théologie morale à l’Université grégorienne de Rome. Les laïcs et les prêtres ivoiriens sont souvent accusés de s’investir davanatge dans le sacré et les « pratiques sacramentalistes » (pratiques qu’ils auraient héritées des pères SMA – Société des missions africaines de Lyon , si l’on en croit Eric Lanoue[2]) que dans la lutte pour le respect des droits de la personne, ce qui, à notre sens, n’est pas totalement faux. Mais – et c’est une question qui nous semble fondamentale – comment ceux-ci peuvent-ils participer à la transformation de la société ivoirienne s’ils ignorent l’enseignement social de leurs pasteurs ? Contribuer à mieux faire connaître les lettres pastorales des évêques, tel est donc le troisième motif qui a dicté notre choix.

Problématique : De 1960 à 2005, l’histoire de la Côte d’Ivoire a été marquée par des événements politiques. Dans leurs lettres pastorales, les évêques ont-ils pris position sur tous ces événements ou bien sont-ils intervenus en certaines circonstances ? Et de quelle manière ?

Sources : Pour répondre à cette double interrogation, nous avons utilisé deux sources d’information. Il s’agit, premièrement, d’écrits collectés à la faveur de quatre voyages effectués en Côte d’Ivoire : homélies, déclarations, messages et lettres pastorales de Mgr Bernard Yago, lettres pastorales et déclarations de la conférence épiscopale ivoirienne, lettres pastorales de Laurent Mandjo et de Joseph Akichi. Ces textes constituent en quelque sorte la matière première. Il était nécessaire de les étudier de près, d’aller en quelque sorte à la source, pour savoir ce que les évêques ont dit ou non sur les différents événements politiques. La plupart de ces textes sont disponibles à la bibliothèque de l’INADES (Institut africain pour le développement économique et social), de l’UCAO (Université catholique d’Afrique occidentale) et du secrétariat de la conférence épiscopale situé à Cocody-Riviéra. Mémoires, thèses et essais nous ont aidé à compléter nos informations sur l’Église de Côte d’Ivoire. Pour les textes relatifs à l’Église qui est en Guinée, au Cameroun, en République démocratique du Congo et au Kenya, il nous a fallu consulter les archives des OPM (Œuvres pontificales missionnaires)[3], des Pères sulpiciens (6, rue du Regard, dans le VIe arrondissement), de la Faculté de sciences sociales de l’Institut catholique de Paris, de la bibliothèque François Mitterrand, de l’Université catholique de Louvain, des Pères spiritains de Chevilly la Rue (dans le Val de Marne), etc.

La deuxième source d’information, ce sont les entretiens que nous avons eus avec quelques personnes (évêques, prêtres, religieuses et laïcs). Ces entretiens, il ne nous a pas été facile de les obtenir, d’abord à cause du caractère sensible du sujet (certains personnes se sont  demandé si leurs réponses n’allaient pas leur créer des ennuis), ensuite parce que ceux qui ont vécu les événements de 1963-64 ne se souvenaient plus de certains détails.

Autres difficultés rencontrées. Difficultés de déplacement. Le pays étant coupé en deux depuis le 19 septembre 2002, il nous a été en effet difficile de nous rendre à l’Ouest, au Centre et au Nord du pays. Même, dans la zone dite gouvernementale, il n’était pas toujours facile d’aller en voiture d’une ville à une autre à cause des nombreux barrages de contrôle érigés sur la route. 

Mentionnons aussi le fait que certains hommes politiques, à qui nous avons envoyé un questionnaire sur les lettres pastorales des évêques, ne nous ont jamais répondu.

La dernière difficulté a été de trouver un juste équilibre entre ce qu’Étienne Fouilloux appelle « trop de sympathie [qui] mène tout droit à une forme d’apologétique et trop de distance [qui] conduit à l’illusion scientiste[4] ». Équilibre d’autant moins facile que l’historien, selon Pierre Laborie, « construit entre doutes et certitudes ponctuelles, selon son éthique, ses exigences propres et celles de la règle, à la recherche de ce qui lui semble se rapprocher de la vérité la moins réfutable, des enchaînements les plus plausibles, des processus les plus vraisemblables, des manières d’être les moins anachroniques[5] ».

Méthodologie (approche, nombre et contenu des parties). Au cours de cette recherche, maîtriser notre subjectivité ne fut pas notre seul souci. Nous avons essayé aussi de définir autant que faire se peut les concepts et notions utilisés, d’exposer les faits tels qu’ils se sont déroulés et de les situer dans leur contexte, de procéder par recoupements des témoignages recueillis et par confrontation avec les sources écrites. Quant à l’aspect méthodologique, nous avons opté pour une approche à la fois informative, interprétative et critique. Cette approche, nous l’avons nettement séparée de la prospective. C’est dans la conclusion en effet que nous avons exprimé nos convictions. Si la présentation conduit à faire croire que nous imputons à certains acteurs des positions qu’ils n’ont jamais eues, ce n’était pas dans nos intentions. Il faut y voir une maladresse d’expression. Le travail ainsi réalisé comprend quatre grandes articulations.

La première partie nous met en contact avec Bernard Yago. Ici, il s’agit principalement de répondre aux questions suivantes : qui est-il ? Quel fut son parcours ? Sur quels thèmes insistait-il dans ses homélies, déclarations et lettres pastorales ? Qu’est-ce qui le distinguait des autres évêques ? Pourquoi parla-t-il au nom de la conférence épiscopale jusqu’en 1979 ? Pourquoi lui, qui était attaché à la liberté, s’accommoda-t-il du parti unique et pourquoi garda-t-il le silence sur certains événements ? 

La deuxième partie nous plonge dans une Côte d’Ivoire qui commence à connaître des difficultés économiques et dans laquelle on assiste, sur le plan politique, à une relative ouverture démocratique avec les députés qui ne sont plus nommés par le président de la République. Comment la conférence épiscopale qui entre en scène, aussitôt après la première visite de Jean-Paul II, se comporte-t-elle dans ce contexte ? Lui arrive-t-il d’aborder les questions qui fâchent ? Parvient-elle à « rester libre vis-à-vis du pouvoir politique » ainsi que l’y invitait le pape Jean-Paul II lors de sa première visite en terre ivoirienne en mai 1980 ?

En 1990, sous la pression de la rue, la Côte d’Ivoire passe du parti unique au multipartisme. Désormais, les évêques sont appelés à composer avec plusieurs partis politiques. D’autres évêques que Yago osent prendre la parole en leur nom propre et à l’extérieur de la conférence épiscopale (Dacoury, Mandjo, Akichi, Téky, Ahouanan). Par ailleurs, c’est sans langue de bois que les évêques commencent à se prononcer sur la situation politique. Une liberté de ton qui ne plaît pas toujours au pouvoir en place. La troisième partie s’efforce de rendre compte de cette évolution.

La quatrième et dernière partie porte sur une période relativement brève mais riche en événements : transition militaire, naissance de la deuxième République, élections présidentielle, législatives et municipales (octobre 2000), forum de réconciliation nationale (2001), tentative de coup d’État (septembre 2002), violences de janvier 2003 et de novembre 2004, débat sur la modification de l’article 35 de la Constitution, etc. L’objectif poursuivi ici est de voir si le discours des évêques innove, si nous avons affaire à une manière nouvelle de parler aux politiciens et des choses de la cité.

Résultats obtenus. Quatre grandes conclusions peuvent être tirées de cette étude. La première est que les évêques ivoiriens ont pris position mais pas sur tous les événements politiques survenus en Côte d’Ivoire entre 1960 et 2005. Deuxièmement, alors qu’ils sont accusés par certaines personnes d’avoir toujours fait la politique du pouvoir en place, nous avons noté que, en réalité, les évêques ne roulent pour personne et qu’ils ont interpellé toutes les formations politiques. En troisième lieu, nous avons remarqué que, d’une parole timide et trop prudente, ils sont progressivement passés à une parole claire, directe et forte. Nous avons constaté enfin que, en intervenant dans le débat politique, la hiérarchie catholique ne cherche ni à porter atteinte à la laïcité de l’État, ni à se substituer aux hommes politiques  mais à « atteindre la conscience de l’homme et de la femme ivoiriens, pour leur montrer leur dignité et les aider à en faire bon usage, faciliter une justice effective, avec un souci plus grand des pauvres, des marginaux, des petits, des migrants, en un mot de ceux qui sont souvent laissés pour compte » (Jean-Paul II, mai 1980). En d’autres mots, en donnant régulièrement leur point de vue sur la gestion de la Cité, les évêques semblent nourrir une seule ambition : que les gens ne s’entretuent pas, qu’ils puissent vivre en paix les uns avec les autres. C’est le lieu de souligner que l’Église catholique est l’une des rares institutions à oser se prononcer, de façon permanente, sur les événements socio-politiques en Côte d’Ivoire.

Tel qu’il se présente, ce travail ne prétend pas avoir fait un tour exhaustif de la question. Par exemple, il aurait été fort utile d’avoir davantage de témoignages de la part des  communautés religieuses protestantes et musulmanes sur la laïcité et sur la crise déclenchée en septembre 2002 (questions sur lesquelles tous les imams ne parlent pas le même langage), d’aborder la question de l’impact des lettres pastorales sur la vie politique ivoirienne (impact quasiment nul dans la mesure où les évêques reconnaissent eux-mêmes ne pas être écoutés par les hommes politiques comme en avril 2005 lorsque, contrairement au vœu des prélats, le président Laurent Gbagbo prit un décret autorisant tous les signataires de l’accord de Marcoussis à participer à la future présidentielle) ; il eût été non moins intéressant d’évoquer les relations que les missionnaires entretenaient avec le pouvoir politique avant 1960. Relations que Yao Bi, Pierre Kipré et Éric Lanoue qualifient de bonnes. Relations d’autant plus bonnes que les deux parties avaient un ennemi commun : le communisme. Les avantages tirés par les missionnaires de cette collaboration dans la lutte contre le communisme sont l’accroissement de l’aide matérielle et financière du gouvernement aux Missions et les décorations (c’est le cas du P. Méraud à Memni en 1935, du P. Bedel à Dabou en 1941 et du P. Pérez à Moosou en 1955)[6]. Nous espérons que les membres du jury ne nous en voudront pas trop pour ces limites qui sont celles de tout jeune chercheur. En implorant d’avance leur bienveillance et leur indulgence, nous tenons à les remercier une fois de plus d’avoir pris le temps de lire notre travail et d’avoir honoré de leur présence cette soutenance.

 


[1] Antonio Porcellato, La parole de Mgr Yago en matière sociale et politique, Abidjan, ICAO, 1982 ; Emmanuel Zabsonré, L’évangile dans le contexte socio-politique, aujourd’hui. Le cas de la Côte d’Ivoire, Abidjan, ICAO, 1992 ; Yao Bi Ernest, L’Église catholique en Côte d’Ivoire : Influences du catholicisme sur  la société ivoirienne pendant la période précédant l’indépendance. 1930-1960, Paris, Université de Paris I-Sorbonne, 1991) ; Marc Kouakou Kouamé, État et Église catholique en Côte d’Ivoire de 1960 à 1990, Abidjan, Université de Cocody, 1997 ; Bernard Tondé, L’Église en Côte d’Ivoire au seuil du 3e millénaire. Panorama général des textes officiels de la CECI[1] :1965-2000, Rome, 2000.

[2] E. Lanoue, « École catholique et décolonisation ecclésiale… », Archives de sciences sociales des religions, 128, octobre-décembre 2004.

[3] 5, rue Monsieur, dans le VIIe arrondissement.

[4] E. Fouilloux, Au cœur du XXe siècle religieux, Paris, Les Éditions ouvrières, 1993, p. 11.

[5] Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, pp. 7-8.

[6] Eric Lanoue, « Le temps des missionnaires n’est plus… », Cahiers d’Études africaines, n°s 169-170, 2003, pp. 199-220.

SEMINAIRE SUR JACQUES MARITAIN

mars 5, 2008

          1. BIOGRAPHIE

                                    

          Élevé dans le protestantisme libéral, petit-fils de Jules Favre(célèbre homme politique), Jacques Maritain, né à Paris le 18 novembre 1882 de Paul Maritain et de Geneviève Favre. Il aborde le siècle comme « une espèce de romantique de la justice ». Lorsqu’il rencontre Raïssa Oumançoff, juive d’origine russe, qui prépare comme lui une licence de sciences naturelles et qu’il épousera en 1904, il trouve une compagne d’inquiétude. " La philosophie scientiste et phénoméniste de ses maîtres avait fini par le faire désespérer de la raison". "Un moment il crut qu’il pouvait trouver la certitude intégrale dans les sciences expérimentales". "Pendant deux ans, il étudie l’état des recherches biologiques en Allemagne". Il semble, en effet, que la vieille Sorbonne s’emploie à renvoyer à l’absurde ceux qui se déclarent prêts à « mourir par un libre refus s’il était impossible de vivre selon la vérité », ainsi que le note Raïssa Maritain dans Les Grandes Amitiés. Les problèmes soulevés par les sciences, par les prestiges et les mirages de la raison inquiètent le philosophe. Il s’écarte de deux extrêmes, le rationalisme positviste, pour sa fermeture au supra-rationel, et le bergsonnisme, pour sa part d »anti-intellectualisme.

                                   

          De l’autre côté de la rue Saint-Jacques, il y a certes une autre vénérable institution : le Collège de France où officie Henri Bergson ; mais « une montagne de préjugés et de méfiance » s’interpose. L’amitié de Charles Péguy, qui n’est pas un fervent de la Sorbonne, donnera à Jacques et Raïssa Maritain de la franchir. Et là, chaque vendredi à dix-sept heures, dans la salle 8, ils découvrent essentiellement « qu’il est possible de trouver la vérité ». Si la voie demeure floue (Maritain le relèvera dans La Philosophie bergsonienne : études critiques, 1914), cet enseignement témoigne d’une ouverture au domaine spirituel et replace l’homme dans un cycle vital. Toutefois, De Bergson à Thomas d’Aquin (titre d’un ouvrage paru en 1944) le chemin ne semble pas tracé. Il le semble d’autant moins que la lecture de La Femme pauvre de Léon Bloy et la fréquentation de ce « pèlerin de l’absolu » les rapprochent d’une conversion dont la philosophie pourrait faire les frais. De plus, en ce début du siècle, la pensée catholique, déconcertée par le procès de compétence que lui font tant le rationalisme que la critique historique s’appliquant à ses sources, oscille entre raidissement et modernisme, entre intégrisme et libéralisme, et n’engage guère à ajouter à un dévergondage d’idées. Lorsque Jacques et Raïssa Maritain reçoivent le baptême en 1906, Léon Bloy, leur parrain, tiendra que « le miracle est accompli » — et que peut-être la foi est en voie de répudier l’intelligence.

                                            

          C’est alors que ceux qui venaient « de chez Bloy » sont orientés par un dominicain, le père Clérissac, qui « admirait passionnément Maurras », vers l’étude de Thomas d’Aquin. Pour le jeune agrégé — qui se situera toujours hors des cadres de l’université française, préférant le statut de professeur libre à l’Institut catholique de Paris puis au Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto, enfin à l’université de Princeton, après avoir occupé le poste d’ambassadeur de France près le Saint-Siège de 1945 à 1948 —, cette étude ranime la vocation du philosophe : il y décèle les vertus de classification méthodique, de discernement des frontières épistémologiques qui correspondent excellemment à son tempérament de logicien épris de mise en ordre. Le contexte théologique du thomisme ne va pas sans poser la question de l’existence même d’une philosophie chrétienne (De la philosophie chrétienne, 1933) vécue par un chrétien philosophe, spirituellement dirigé. Mais Maritain « s’est persuadé de plus en plus […] que le temps est venu pour elle [la philosophie de saint Thomas] de prendre sa forme propre, son organisation interne et son développement autonome en tant même que philosophie ». Les ambiguïtés ne sont pas toujours levées : ainsi « l’erreur d’accepter sans examen un élément d’ordre temporel », qui devait aboutir à la crise de 1926 marquée par la condamnation de l’Action française, mais aussi, par-delà, à l’affirmation de l’Humanisme intégral (1936), dont Primauté du spirituel (1927) avait donné une première expression. "Moi, écrira-t-il, qui avais voyagé avec tant de passion parmi toutes les doctrines des philosophies modernes, et n’y avais rien trouvé que déception et grandioses incertitudes, j’éprouvais alors comme une illumination de la raison: ma vocation philosophique m’était rendue en plénitude".

                              

          C’était là la formulation théorique d’un itinéraire vécu à partir d’une découverte de Dieu, mysterium fidei, et poursuivi à la lumière du Docteur angélique (1930). De 1923 à 1939, nombreux sont ceux qui, au 10 de la rue du Parc à Meudon, fréquentent « le dernier salon de conversion » que Maurice Sachs évoque dans Le Sabbat. S’y retrouvent, entre autres, Cocteau, Max Jacob, Berdiaev, Charles du Bos, Emmanuel Mounier, Maurice Merleau-Ponty, Gabriel Marcel, Chagall, Julien Green ; une série d’ouvrages relèvent de ce contexte : Art et Scolastique (1920), Frontières de la poésie et autres essais (1935), Quelques Pages sur Léon Bloy (1927), Réponse à Jean Cocteau (1926) que suivront Creative Intuition in Art and Poetry (1955), La Responsabilité de l’artiste (1962).

          « Si je suis thomiste, c’est parce qu’en définitive j’ai compris que l’intelligence voit » : cette confidence traduit une conception existentielle du thomisme (Court Traité de l’existence et de l’existant, 1947), conception qui caractérise proprement l’intervention philosophique de Maritain dans son temps pour « travailler à réconcilier le monde à la vérité ». Il s’agit là d’une réconciliation sans complaisance, comme en témoignent les polémiques que souleva Le Paysan de la Garonne (1967), où sont dénoncés les excès d’une ouverture au monde. Parce que, du baptême à sa mort chez les Petits Frères de Charles de Foucauld à Toulouse — où il s’était retiré après la mort de Raïssa en 1960 —, Jacques Maritain a tenu de sa foi qu’« il serait absurde de dire que l’Église est corrompue, qu’elle n’est plus avec Jésus-Christ. Pour dire cela, il faudrait à la fois s’affirmer chrétien (pour croire en Jésus-Christ) et se nier chrétien (pour condamner l’Église ; mais si vous condamnez l’Église, vous ne pouvez plus croire en Jésus-Christ). C’est la misère du protestantisme ! » (Carnet de notes, 1965). De l’Église du Christ (le cinquante-cinquième de ses livres), écrit « contre la montre » au terme de sa vie, apparaît de la sorte comme son testament.

          D’une pensée dogmatique, d’une doctrine dure, entre le temps et l’éternité, l’œuvre philosophique de Maritain a pour clé « l’ordination essentielle de l’intelligence à l’être » (souligné dès 1924 dans Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre). Si Les Degrés du savoir (1932 ; publié simultanément aux Sept Leçons sur l’être) marquent le cheminement de l’intelligence vouée à distinguer pour unir, c’est d’une démarche subalternée à la foi en l’intelligence qui est « une certaine similitude de la lumière incréée ». Maritain : un philosophe selon la foi ? Doué d’une inébranlable confiance en la vérité telle qu’elle lui avait été révélée et telle que l’enseignement de Thomas d’Aquin lui avait donné de l’explorer, le converti de l’absurde se satisfaisait d’espérer être un philosophe s’inscrivant dans la lignée de ceux qui n’osaient se définir qu’amis de la sagesse : « Le mieux que puisse faire un philosophe, c’est d’humilier la philosophie devant la sagesse des saints. »

2. LA DEMOCRATIE CHRETIENNE

                    

          La démocratie chrétienne (D.C.) est un mouvement qui cherche à promouvoir, au sein d’une société démocratique et pluraliste, une politique conforme au message qu’expriment l’Évangile, la doctrine sociale des Églises et les travaux de penseurs chrétiens. Autonome vis-à-vis des organisations ecclésiales, mais enracinée dans de larges fractions du peuple chrétien, elle reçoit aussi le soutien d’agnostiques ou d’athées ouverts à l’apport culturel du christianisme. Dans Humanisme intégral (1936), le philosophe catholique Jacques Maritain rappelle son souhait de formations politiques qui rassembleraient « seulement tels chrétiens qui se font du monde, de la société et de l’histoire moderne une certaine philosophie et tels non-chrétiens qui reconnaissent d’une manière plus ou moins complète le bien-fondé de cette philosophie ».

          Quand, le 21 novembre 1791, à la Constituante, l’évêque constitutionnel de Lyon Lamourette évoque les « principes lumineux de la démocratie chrétienne », sans doute crée-t-il l’expression, mais sans y voir autre chose encore qu’une Église démocratique et populaire opposée à l’Église aristocratique de l’Ancien Régime. L’idée restera sans suite. Il faut attendre 1848 pour que l’on reparle de démocratie chrétienne : en France surtout, où avec les rédacteurs de L’Ère nouvelle, Frédéric Ozanam fait la fortune de l’expression, désormais chargée de son sens politique contemporain. Mais la réaction contre-révolutionnaire éliminera ce que Jean-Baptiste Duroselle appelle à juste titre la « première démocratie chrétienne ».

          Une deuxième va naître au lendemain de l’encyclique de Léon XIII, Rerum novarum (1891). Pour la première fois, la papauté semble appuyer le réformisme politique et social. Si une Union démocratique chrétienne de l’arrondissement de Liège apparaît en 1892, c’est en France que se constitue, en mai 1896, un Parti démocratique chrétien, première formation politique au monde à arborer cette étiquette. Jusque-là, les partis d’inspiration chrétienne, et de fait catholique, utilisaient d’autres appellations : « Centre » en Allemagne, « conservateurs » en Suisse, « catholiques » en Belgique, « sociaux-chrétiens » en Autriche, « nationaux-catholiques » en Bohême-Moravie…

          L’entre-deux guerres, cependant, verra les formations d’inspiration démocrate-chrétienne se baptiser Jeune République et Parti démocrate populaire, en France, ou Parti populaire, en Italie. Dès 1901, en effet, Graves de communi du même Léon XIII jugeait « condamnable de détourner en un sens politique le terme de démocratie chrétienne », celle-ci n’étant que la « bienfaisante action chrétienne parmi le peuple ». L’étiquette allait ainsi politiquement disparaître partout, sauf en Lituanie et en Pologne, jusqu’à sa résurrection en 1943 opérée par Alcide De Gasperi sur les ruines du vieux P.P.I. Ne s’agit-il pas de marquer la spécificité du nouveau parti et la force de sa doctrine à un moment où, le fascisme s’écroulant, resurgissent avec une force inattendue, dans la péninsule le socialisme et le communisme ? De même, en Allemagne, le rapprochement entre les catholiques et les protestants unis dans leur opposition au national-socialisme favorise la création de partis régionaux démocrates-chrétiens qui se fédéreront dans une Union démocrate-chrétienne (C.D.U.). En 1945, le premier parti latino-américain portant une étiquette démocrate-chrétienne est créé au Brésil.

UN COURANT POLITIQUE ORIGINAL

          Au départ, il y a ce conflit triangulaire qui, au long du XIXe siècle, oppose catholicisme, libéralisme et socialisme. Il est à l’origine des trois courants essentiels de la vie politique européenne, lorsque la compétition électorale, une fois le suffrage censitaire abandonné, met en jeu des partis organisés faisant appel au suffrage populaire.

          Du début du XIXe siècle à une époque récente, le rejet du libéralisme par l’Église catholique fut aussi puissant que durable. Les encycliques Mirari vos (1832), Quanta cura (1864), le fameux Syllabus qui, la même année, se fait le catalogue des erreurs modernes, la condamnation du Sillon par Pie X (1910) sont autant de mises en garde sans équivoque contre les développements d’une idéologie issue des Lumières. Il faut attendre Noël 1944 et le message à la radio de Pie XII pour que la démocratie pluraliste soit clairement acceptée par un pape : l’Église admet le libéralisme politique, mais le mot n’est pas prononcé. Bien entendu, les partis catholiques créés avec succès avant 1914 (Centre allemand, Parti catholique belge) n’avaient pas attendu cette évolution pour accepter une idéologie qui justifiait leur participation au jeu démocratique. Quant au libéralisme économique, l’Église lui a été en général hostile, reconnaissant, certes, le droit de propriété mais préconisant l’intervention de l’État contre les excès de l’individualisme. Il faut ici attendre l’encyclique Centesimus Annus de Jean-Paul II, en 1991, pour trouver une acceptation explicite de l’économie de marché, mais non du « libéralisme ». Le socialisme prémarxiste n’a pas moins été en conflit ouvert avec l’Église, et on connaît la pensée marxiste sur la religion. À part les travaillistes anglais, les partis socialistes européens sont anticléricaux. Déjà en 1878, Léon XIII condamne le socialisme dans l’encyclique Quod apostolici, pour deux raisons essentielles : il méconnaît le droit de propriété et n’est guère favorable à la famille. Les encycliques sociales de 1891 et 1931, Rerum novarum et Quadragesimo Anno, maintiennent cette attitude, tout en reconnaissant qu’il y a des points communs au socialisme modéré et au catholicisme.

          La démocratie chrétienne se situe à l’intersection du catholicisme social et du catholicisme libéral. Elle vise, lorsqu’elle se constitue en courant politique, à proposer une réponse originale aux nouveaux défis lancés simultanément par la révolution industrielle et par la démocratie politique. Sa construction intellectuelle emprunte à des sources diverses. En premier lieu, les Écritures et le message évangélique : primauté de la personne humaine et égalité entre les hommes, obligation du chrétien d’agir pour la justice et la vérité, distinction enfin entre l’action temporelle des chrétiens et la visée spirituelle des Églises. Viennent ensuite les documents ecclésiastiques, en particulier les encycliques papales. Rerum novarum et Quadragesimo Anno seront des documents importants. L’encyclique Libertas de Léon XIII (1888) sera considérée comme un encouragement à l’action démocratique, tout comme le message à la radio de Noël 1944. Quant aux penseurs, le courant augustinien sera proche, en France, de la démocratie chrétienne, avec Maurice Blondel (1861-1949), Paul Archambault (1883-1950) et, plus récemment, Étienne Borne, conscience philosophique et morale du Mouvement républicain populaire. Après la condamnation de l’Action française (1926), le principal représentant du thomisme en France, Jacques Maritain (1882-1973), élabore une doctrine catholique de la démocratie allant jusqu’à voir dans l’œuvre de saint Thomas « la première philosophie authentique de la démocratie » (Principes d’une politique humaniste, Paris, 1945). Un autre philosophe thomiste, l’académicien Étienne Gilson, sera sénateur M.R.P. à la Libération. Des écrivains, encore, des publicistes : après les précurseurs – Lamennais, Ozanam, Maret –, citons en France l’abbé Gayraud (1856-1911), député du Finistère ; Marc Sangnier (1873-1950), polytechnicien, fondateur du Sillon puis de la Jeune République, enfin député M.R.P., dont les écrits sont abondants bien qu’il fût surtout un grand orateur ; Robert Cornilleau (1888-1942), journaliste au Petit Démocrate et écrivain. En Italie, Giuseppe Toniolo (1945-1918). En Allemagne, l’évêque de Mayence, Mgr Ketteler (1818-1890). En Amérique latine, les anciens présidents du Chili et du Venezuela Eduardo Frei et Rafael Caldera, tous deux universitaires.

          Un thème domine : le christianisme est une source d’inspiration pour l’action politique. Non seulement pour défendre les intérêts des Églises et des croyants, motivation qui s’estompe avec le déclin de l’anticléricalisme, mais pour assurer une présence chrétienne dans le monde contemporain et pour donner une inspiration chrétienne à la vie démocratique. Dans ce cadre, le christianisme est perçu sous son aspect culturel et éthique. Par conséquent, la démocratie chrétienne s’adresse aussi aux non-croyants et accepte que des chrétiens choisissent d’autres options politiques. Les démocrates-chrétiens ont cependant toujours condamné le communisme et le fascisme. Ils ont marqué leur différence avec le socialisme démocratique en défendant la propriété privée et en exprimant, au nom du principe de subsidiarité, leur méfiance à l’encontre d’une intervention excessive de l’État dans la vie sociale et l’éducation. Au libéralisme, ils reprochent son individualisme et sa réticence vis-à-vis de l’intervention de l’État en matière sociale et même économique. Traditionnellement, ce sont les hommes de la troisième voie.

LES PREMIERS PARTIS CATHOLIQUES

          Les premiers partis catholiques naissent dans des pays où un conflit religieux devient un enjeu politique. Le Centre allemand a pour ancêtre un « groupe catholique » qui se constitue à la diète prussienne en 1852. Créé en 1870, il adhère sans réserve au libéralisme politique, obtenant 18,6 p. 100 des suffrages et cinquante-sept sièges aux premières élections suivant l’unité allemande, en 1871. Le Kulturkampf de Bismarck, le renforce (27 p. 100 des voix en 1881), puis, avec l’apaisement religieux, les résultats baissent ; en 1912, il obtient 16,4 p. 100 des voix et environ 55 p. 100 de celles des catholiques allemands. Le Centre a échoué dans son dessein de s’ouvrir aux protestants. Le parti, qui n’aura pas de responsabilités gouvernementales sous l’Empire, représente l’éventail complet du catholicisme allemand, allant de l’aristocratie terrienne aux classes moyennes urbaines et aux syndicalistes. Il montre son indépendance vis-à-vis de Rome lorsqu’il vote, en 1887, contre le budget de l’armée, malgré la demande expresse de Léon XIII qui espérait ainsi améliorer les relations du Saint-Siège avec l’Allemagne. Plus tard, le Centre soutient le gouvernement durant la Première Guerre mondiale et devient, avec le Parti social-démocrate, l’un des deux piliers de la république de Weimar, à laquelle il fournit neuf chanceliers sur vingt et le tiers de ses ministres. Peu touché par la montée de l’hitlérisme, qui s’appuie surtout sur les voix protestantes, le Centre vote, le 23 mars 1933, les pleins pouvoirs à Hitler et sera dissous avec tous les autres partis, à l’exception de celui qui est au pouvoir, le 14 juillet 1933.

          En Italie, la question romaine amena d’abord le Saint-Siège à imposer aux catholiques leur non-participation à la vie politique nationale : « ni électeurs, ni élus ». Mais la consigne tombe en désuétude après 1909. Fondé en 1919 par un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo, le Parti populaire italien (P.P.I.), parti démocratique d’inspiration chrétienne et non confessionnel, obtient en 1919 et 1921 20 p. 100 des voix et plus de cent députés. Il s’allie dans un premier temps aux libéraux puis, malgré de sérieux remous internes, apporte son soutien aux premiers gouvernements de Mussolini entre 1921 et 1923. Une aile favorable à la collaboration avec le fascisme le quitte. Plus grave, il est abandonné par le Saint-Siège. Passé à l’opposition, le P.P.I. sera dissous en 1926. Handicapé par l’inexpérience de ses dirigeants, le P.P.I. fut un grand parti populaire recueillant de très nombreuses voix ouvrières et paysannes et tâchant de mener une politique démocratique d’inspiration chrétienne sans compromettre la papauté ni engager l’Église. Mais, comme l’écrit Jean-Marie Mayeur, « l’aval de Rome permit sa naissance ; son désaveu, sa mort ». Aucun parti démocrate-chrétien ne fut à ce point dépendant de la papauté.

          En Belgique, le Parti catholique est, après plusieurs tentatives, créé en 1884. Il parvient à fédérer de multiples associations catholiques. En 1921, il change son nom en Parti catholique belge auquel adhèrent quatre organisations socioprofessionnelles ou standen : la Ligue démocratique chrétienne, qui rassemble les travailleurs ; les associations catholiques flamandes et wallonnes ; la Fédération des classes moyennes ; la Fédération des associations et cercles catholiques. Première formation du pays entre 1919 et 1940, avec en moyenne 37 p. 100 des suffrages, le parti occupe en quasi-permanence le poste de Premier ministre et gouverne en coalition avec les libéraux ou, plus rarement, avec les socialistes. Aux Pays-Bas, il existe des partis catholique et protestant. Le parti catholique, avec 30 p. 100 des voix, obtient 80 p. 100 de celles des baptisés. À partir de 1918, les partis confessionnels gouvernent ensemble et s’appuient sur un vaste réseau d’organisations sociales, syndicales et religieuses.

          Dans l’Empire austro-hongrois des partis catholiques et sociaux-chrétiens se forment vers 1900. Après 1918, ils exerceront fréquemment des responsabilités gouvernementales. En Bohême et Moravie, le Parti populaire est un parti démocrate-chrétien, alors que son homologue slovène se rapprochera d’un nationalisme profasciste. Les sociaux-chrétiens autrichiens acceptent en 1919 la république démocratique, mais l’orientation sera de courte durée, et au sein du parti, dont le principal dirigeant est le chancelier, Mgr Seipel, les courants corporatistes et autoritaires gagneront du terrain. Antinazi, son successeur, Dollfuss, met le Parlement en vacances, en 1933, et établit, en 1934, un État autoritaire. Le Parti social-chrétien autrichien est un exemple de la distance qui sépare certains partis catholiques même « sociaux » de la démocratie chrétienne et de la démocratie tout court.

          En France, la démocratie chrétienne dispose d’un patrimoine doctrinal d’importance, mais a du mal à s’imposer sur le plan politique, les catholiques votant massivement pour les partis situés à droite de la démocratie chrétienne, partis au demeurant non catholiques mais socialement conservateurs. Faiblement appuyé par le clergé, le Parti démocratique chrétien disparaît, entraîné par la marée nationaliste qui secoue les milieux catholiques avec l’affaire Dreyfus. Le ralliement des catholiques à la république, en 1890, entraîne la création d’un parti catholique de droite, l’Action libérale populaire de Jacques Piou et Albert de Mun. Cette formation aura une quarantaine de députés dans les années 1900, siégera à droite, dans l’opposition, pour disparaître en 1919 au profit de la Fédération républicaine, parti conservateur non confessionnel. Le Sillon de Marc Sangnier réunit de nombreux militants et dispose d’un vaste réseau de publications. Condamné par Pie X, en 1910, accusé d’être trop démocratique, ce mouvement mi-apostolique mi-politique aura formé de nombreux cadres qu’on retrouvera entre les deux guerres dans les partis démocrates-chrétiens. Ces derniers sont trois. La Jeune République, fondée par Marc Sangnier en 1912, représente la gauche catholique de l’époque. Recrutant surtout chez les enseignants et les employés, à mi-chemin entre le parti politique et le groupe de pensée, elle aura, au plus, quatre députés et adhérera au Front populaire en 1935. Le Parti démocrate-populaire, créé en 1924, dont les principaux responsables sont Auguste Champetier de Ribes et Paul Simon, est un vrai parti politique, avec un groupe parlementaire à la Chambre, une vingtaine de députés, dix mille adhérents et une ligne politique de centre droit. Enfin, les démocrates-chrétiens alsaciens créent l’Union populaire républicaine, bien organisée, fortement autonomiste, dont la dizaine de députés ont du mal à se situer sur l’échiquier politique français. Les trois partis ont en tout quelque 30 députés sur 584 et reçoivent 3 p. 100 des voix, surtout dans l’Est et dans l’Ouest. Un quotidien, L’Aube, fondé en 1932, aura une certaine influence.

L’EUROPE D’APRES GUERRE

          Le retour de la démocratie en Autriche, en Allemagne et en Italie, la libération du reste de l’Europe et l’action de nombreux chrétiens contre le nazisme vont donner de nouvelles perspectives au catholicisme politique, qui dans de nombreux pays est de surcroît conforté par l’introduction du suffrage féminin. Les tendances catholiques autoritaires sont privées de légitimité par l’issue du conflit. Le Vatican, après un long moment d’hésitation, reconnaît l’importance des partis démocrates-chrétiens pour défendre les Églises menacées par la montée du communisme. Enfin, l’étiquette n’est plus exclue du jeu politique par l’Église et le rapprochement avec les protestants qu’a permis la lutte contre le nazisme ouvre à beaucoup de ceux-ci le mouvement démocrate-chrétien.

          En France, le Mouvement républicain populaire fondé en 1944 est dirigé par des hommes connus du grand public grâce à leur action durant la guerre : Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance, et Maurice Schumann, porte-parole de la France libre à la radio de Londres. Le M.R.P. obtient 25 p. 100 des voix en 1945 et un maximum de 28 p. 100 (et 125 000 adhérents) en 1946, avant de décliner (12 p. 100 des suffrages au cours de la IVe République ; 30 000 adhérents en 1958), victime de la contradiction entre l’antigaullisme de ses cadres et le gaullisme de son électorat. Au pouvoir en coalition avec les socialistes et les communistes jusqu’en 1947 (tripartisme), avec les socialistes, les radicaux et les modérés de 1947 à 1951 (Troisième Force), puis avec la droite modérée en 1954-1955, le M.R.P. aura une politique timide en matière de décolonisation mais un rôle déterminant pour exclure les communistes du pouvoir à la Libération et empêcher le général de Gaulle d’y revenir en 1947 et 1951. Sous l’impulsion de Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, il est à l’origine de la participation de la France à la construction européenne. Incapable de s’opposer à lui seul au gaullisme triomphant, le mouvement disparaît en 1966 au profit du Centre démocrate, né un an plus tôt de la candidature de Jean Lecanuet à la présidence de la République (16 p. 100 des voix). Les centristes, par la suite, auront du mal à jouer un rôle important à cause du système de scrutin majoritaire à deux tours. En 1974, ils s’intègrent dans la majorité de centre droit en soutenant Valéry Giscard d’Estaing. En 1976, mettant fin à une division née lors de la présidentielle de 1969, les démocrates-chrétiens se retrouvent au sein du Centre des démocrates sociaux (C.D.S.), présidé par Jean Lecanuet. Le C.D.S. sera l’aile « européenne » de la coalition de centre droit au pouvoir. En 1988, il soutient la candidature de Raymond Barre. Absent aux élections présidentielles de 1974, 1981 et 1988, le C.D.S. n’a pu élargir un électorat qui se situe autour de 10 p. 100 des voix. Il disposait en 1992 de 44 députés sur 577 et de 60 sénateurs sur 320, recrutant l’essentiel de ses élus dans les régions catholiques de l’Est et de l’Ouest, fiefs historiques de la démocratie chrétienne.

          Le premier parti démocrate-chrétien d’Europe est l’Union démocrate-chrétienne d’Allemagne (C.D.U., 800 000 adhérents) en symbiose avec le parti frère bavarois, l’Union sociale-chrétienne (C.S.U., 150 000 adhérents). Les deux partis forment un groupe commun au Bundestag mais demeurent distincts. Fondée après la guerre, la C.D.U. rassemble protestants et catholiques rapprochés par la lutte antinazie. À l’Est, elle survivra comme un simple satellite du Parti communiste au pouvoir. En République fédérale, la C.D.U.-C.S.U., conduite par Konrad Adenauer, ancien dirigeant du Centre, arrive en tête aux élections de 1949 et s’installe au pouvoir pour vingt ans, en coalition avec les libéraux. Le succès d’Adenauer sera fortement soutenu par l’action de Ludwig Erhard, ministre C.D.U. de l’Économie et futur chancelier. La C.D.U., adopte l’économie sociale de marché qui permet l’essor de l’économie allemande. Elle met aussi en place un modèle original de cogestion des entreprises et arrime l’Allemagne à l’Occident à travers les Communautés européennes et l’alliance avec les États-Unis. En 1982, retrouvant l’appui des libéraux, la C.D.U. revient aux affaires. Avec le chancelier Helmut Kohl, elle conduira le processus du réunification allemande vis-à-vis duquel l’opposition sociale-démocrate exprime sa réticence. Victorieux aux élections est-allemandes de 1990 et aux élections générales de la même année, les démocrates-chrétiens obtiendront aussi le pouvoir dans cinq des six Länder de l’Est, y compris à Berlin, traditionnelle forteresse « rouge » depuis l’Empire. D’une manière générale, les résultats de la C.D.U. sont meilleurs parmi les catholiques que chez les protestants, à cause de la vieille tradition du Centre. Aux élections de 1990, son électorat reflétait assez bien la sociologie allemande, à deux réserves près : la C.D.U. est plus faible dans les grandes villes, et ses électeurs sont plus âgés que la moyenne nationale. La C.S.U., quant à elle, est plus conservatrice que la C.D.U. en politique étrangère, sur les questions éthiques (avortement) et sociales (cogestion). Elle obtient en général plus de 50 p. 100 des voix dans une Bavière qu’elle gouverne en solitaire. Grâce à la Fondation Konrad Adenauer, financée sur fonds d’État comme les autres fondations allemandes proches des partis, la C.D.U. a une grande influence sur les organisations internationales de la démocratie chrétienne et sur les partis démocrates-chrétiens du Tiers Monde.

          La Démocratie chrétienne italienne fondée en 1943 par Alcide De Gasperi , ancien secrétaire général du P.P.I., obtient, en 1946, 35 p. 100 des voix et sera par la suite au pouvoir de façon quasi ininterrompue. Elle culmine à 48 p. 100 des voix en 1948, puis se stabilise autour de 38 p. 100 dans les années soixante-dix, avant de descendre à 34 p. 100 en 1987 et 29 p. 100 en 1992. Une telle permanence s’explique par la puissance de l’opposition communiste, qui rend impossible toute solution de rechange. La D.C. gouvernera avec la gauche jusqu’en 1947, comme dans le reste de l’Europe, puis avec les centristes laïques jusqu’en 1962, où l’ouverture à gauche fait entrer le Parti socialiste italien dans la majorité gouvernementale. La D.C. a dirigé l’Italie dans les années qui ont vu un progrès économique et social impressionnant. Elle a déjoué l’action des terroristes dans les années soixante-dix, mené à bien la régionalisation et favorisé l’intégration européenne. Elle est accusée, pas toujours à tort, d’avoir colonisé l’État et l’administration, de tolérer des liens avec la Mafia chez certains de ses cadres méridionaux, de ne pas être étrangère à la corruption. La D.C. a toujours reçu un soutien relativement important de l’Église italienne et jouit de liens étroits avec un « monde catholique » bien organisé : le syndicat d’inspiration chrétienne C.I.S.L. (2,5 millions d’adhérents), la confédération d’agriculteurs Coldiretti, le mouvement catholique de travailleurs A.C.L.I., Communion et Libération, l’Action catholique. La D.C. a environ 1,5 million d’adhérents et 13 000 sections. Sa vie interne est dominée par le jeu des courants liés à des personnalités (Amintore Fanfani, Giulio Andreotti) ou idéologiques (Base représente la gauche ; Forces nouvelles, les syndicalistes). Les élections de 1992 ont vu un grand recul de la D.C. La fin du communisme l’a privée d’électeurs qui votaient pour elle par peur plus que par conviction. Le succès de la Ligue lombarde l’a affaiblie dans le nord de l’Italie, région la plus industrialisée du pays. Si elle reste et de très loin le premier parti italien, il est certain que le maintien de sa puissance exige un grand renouvellement de ses hommes et de ses méthodes.

          En Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, les partis démocrates-chrétiens sont en général à la tête du gouvernement depuis 1945 en coalition avec les libéraux ou avec les socialistes. Dans les trois pays, ils bénéficient de l’action de syndicats chrétiens puissants. Le Parti social-chrétien (P.S.C.) belge se divisa en 1968 en deux partis complètement indépendants, l’un flamand, le C.V.P. (Christelijke Volkparti), et l’autre francophone. Bien plus puissant que son homologue wallon, le C.V.P. (120 000 adhérents contre 60 000 au P.S.C., 39 députés contre 18 en 1991) a perdu du terrain au profit des nationalistes du Vlaams Blok. Aux Pays-Bas, les partis catholique et protestant ont fusionné en 1976 pour former l’Appel démocrate-chrétien (C.D.A.). Celui-ci a stoppé le déclin des partis chrétiens, rassemblant 35 p. 100 des voix aux législatives de 1989. Fort de la grande popularité du Premier ministre Ruud Lubbers, il est le premier parti néerlandais.

          En Autriche, le Parti populaire autrichien (Ö.V.P.) a succédé en 1943 aux sociaux-chrétiens. Il est le premier parti autrichien jusqu’en 1970, obtenant jusqu’à 48 p. 100 des voix. Cette année-là, il sera dépassé par les socialistes qui ont abandonné le marxisme et se sont dotés de leaders populaires. L’Ö.V.P., qui évolue vers la droite, passera dans l’opposition puis gouvernera en partenaire minoritaire des socialistes. Le parti (32 p. 100 en 1990) perd des voix au profit des libéraux-conservateurs de Jörg Haider. Il a reconduit sa coalition avec les socialistes. Au-delà des problèmes de structure et de l’évolution de la société autrichienne, il souffre de l’absence de leaders.

          En Suisse, le Parti conservateur chrétien-social s’est transformé, en 1970, en Parti démocrate-chrétien. Le P.D.C. a une clientèle quasi exclusivement catholique et a obtenu 36 députés sur 200 en 1991. Il participe au gouvernement collégial depuis 1919 avec 2 membres sur 7, en compagnie des radicaux, des socialistes et de l’Union démocratique du centre. Ces dernières années, son pourcentage des voix est passé de 21 à 18, au profit de petites formations de la droite populiste. Un petit parti protestant, le Parti évangélique populaire, élit traditionnellement 3 députés et obtient environ 2 p. 100 des suffrages. Le P.D.C. a une clientèle qui vient de tous les milieux sociaux.

          L’Espagne et le Portugal n’ont pas connu, après Franco et Salazar, la naissance, escomptée par certains, de grands partis démocrates-chrétiens. La collusion de la hiérarchie avec les régimes autoritaires, le refus de l’étiquette chrétienne par de nombreux catholiques post-conciliaires, la crise des mouvements d’action catholique et l’attrait du socialisme peuvent expliquer cette situation. En Espagne, les formations régionalistes démocrates-chrétiennes, Parti nationaliste basque et Union démocratique de Catalogne, obtiennent de bons résultats et sont localement au pouvoir. Intégrés après 1977 dans l’Union du centre démocratique d’Adolfo Suárez, les démocrates-chrétiens espagnols rejoindront le Parti populaire de José Maria Aznar. Le Parti populaire, qui a adhéré aux organisations internationales démocrates-chrétiennes et essaie de se débarrasser de son image droitière, a obtenu 26 p. 100 des voix aux élections législatives de 1989. Au Portugal, le Centre démocratique et social se dit démocrate-chrétien. Son déclin (5 p. 100 des voix aux législatives de 1991 contre 15 p. 100 dans les années quatre-vingt) est dû à la concurrence du Parti social-démocrate au pouvoir, parti qui est en fait libéral.

          En Scandinavie, l’absence de conflit entre le protestantisme et le pouvoir, la forte influence religieuse s’exerçant sur le libéralisme comme sur le socialisme ont retardé la naissance de partis d’inspiration chrétienne ; la sécularisation croissante des sociétés scandinaves joue en sens inverse. Fondé en 1933, le Parti populaire chrétien norvégien a détenu le poste de Premier ministre en 1972 et participé à de nombreux gouvernements non socialistes. L’Union chrétienne finlandaise (1958) a obtenu son premier député en 1970 ; depuis 1991, elle est représentée au gouvernement. Le Parti démocrate-chrétien danois (1970) participe aussi à la plupart des gouvernements de centre droit. En Suède, le Parti social-démocrate-chrétien (1964) doit attendre 1991 pour dépasser le seuil de 4 p. 100 des suffrages et obtenir le droit d’être représenté au Parlement ; le succès du parti est dû à un long travail d’organisation et à la personnalité de son président, Alf Svensson.

          La démocratisation de l’Europe de l’Est a entraîné la revitalisation ou la création de nombreux partis démocrates-chrétiens. Simultanément, des partis nationalistes démocrates qui reconnaissent le christianisme comme un élément de la culture nationale ont adhéré aux organisations internationales de la démocratie chrétienne, de même que des partis modérés à la recherche de contacts internationaux.

          En Tchécoslovaquie, avant la scission, trois partis démocrates-chrétiens se réunissaient au sein d’une Union démocrate-chrétienne (K.D.U.) pour recueillir 12 p. 100 des voix aux élections de juin 1990 : l’historique Parti populaire de Bohême et Moravie, le Parti démocrate-chrétien tchécoslovaque et le Mouvement démocrate-chrétien slovaque. Les résultats étaient bons en Slovaquie, mais beaucoup de chrétiens votaient pour le Forum civique et la Bohême-Moravie est de forte tradition laïque. La Pologne avait une tradition nationale-catholique plutôt que démocrate-chrétienne. La démocratie chrétienne s’y reconstitua, mais fragmentée, notamment par la représentation proportionnelle, et concurrencée par les mouvements nationalistes et paysans. En Hongrie, le Parti populaire démocrate-chrétien, qui existait déjà en 1947, obtient 7 p. 100 des voix aux élections de 1990. Le Forum démocratique, arrivé en tête avec 25 p. 100 et auquel appartient le Premier ministre Jozsef Antall, adhère à l’Union européenne démocrate-chrétienne, ainsi que le troisième parti de la coalition gouvernementale, le Parti paysan (11 p. 100 des voix). En Roumanie, un petit parti démocrate-chrétien créé en 1989 fusionne avec le vieux Parti paysan et crée le Parti national paysan démocrate-chrétien (4 p. 100 à la présidentielle de 1990 et 2,6 p. 100 aux législatives, mais le parti a progressé aux municipales de 1992). La Fédération démocratique des Hongrois de Roumanie (7 p. 100 aux législatives, parti arrivé en deuxième position dans le pays) adhère aussi aux organisations démocrates-chrétiennes internationales. Un autre pays orthodoxe, la Bulgarie, n’avait pas de tradition démocrate-chrétienne. Le désir des opposants au régime de se distinguer des communistes sur le plan idéologique a amené plusieurs mouvements à se rapprocher du mouvement démocrate-chrétien européen. Trois appartiennent à la coalition gouvernante (Union des forces démocratiques) : le Parti démocratique bulgare (40 députés), le Centre démocratique (15 députés), le Front démocrate-chrétien (2 députés). Un autre parti, l’Union paysanne de Nicolas Petkov, n’a pas eu d’élus. Enfin, plusieurs partis démocrates-chrétiens se sont formés dans l’ancienne Yougoslavie. En Slovénie, le Parti démocrate-chrétien est arrivé en tête des formations de la coalition d’opposition avec 13 p. 100 des voix, et son président, Alojs Peterle, est devenu le président du gouvernement slovène en 1990. En Croatie, un petit parti démocrate-chrétien obtient à peine deux élus en avril 1990, mais le parti du président Tudjman, l’Union démocratique, qui a obtenu 55 p. 100 des voix, se dit démocrate-chrétien et est membre observateur de l’Union européenne démocrate-chrétienne.

          En Lituanie le Parti démocrate-chrétien, réactivé en 1989, occupe le ministère des Affaires étrangères et dispose de quatre sièges au Parlement. Deux petits partis démocrates-chrétiens se sont fondés en Estonie et sont représentés au Parlement. L’éclatement de l’U.R.S.S. et la démocratisation de la vie politique dans les États qui en sont issus ont aussi permis l’apparition de partis démocrates-chrétiens dans plusieurs républiques. En Russie, les deux organisations les plus importantes sont le Mouvement démocrate-chrétien et l’Union démocrate-chrétienne qui disposent d’élus au Parlement russe et dans les municipalités des grandes villes. Il y a aussi de nombreux groupes locaux. Les personnalités les plus connues de ces mouvements sont Alexandre Ogorodnikov et le prêtre orthodoxe Gleb Yakounine. Il existe de nombreux groupes nationalistes chrétiens. En Ukraine, le Parti démocrate-chrétien, surtout catholique, cohabite avec un Parti républicain, orthodoxe. Ce dernier est bien représenté au Parlement, mais d’autres groupes démocrates-chrétiens agissent aussi. On trouve encore des formations démocrates-chrétiennes en Biélorussie, en Géorgie et en Arménie. Il reste aussi à savoir quel sera leur impact dans des sociétés où le christianisme a été fortement persécuté et où il suscite, peut-être, plus de sympathie que d’adhésion.

L’AMERIQUE LATINE, L’AFRIQUE ET L’ASIE

          L’Amérique latine comptait deux partis démocrates-chrétiens avant la guerre (Chili, Uruguay) ; démocratisation des systèmes politiques aidant, ils sont aujourd’hui plus de vingt. Pourtant, le bilan d’ensemble reste mitigé : de poids électoral secondaire au Mexique (17 p. 100 en 1988 pour le parti d’inspiration catholique), le mouvement est faiblement représenté dans les deux autres grands pays de la zone, le Brésil et l’Argentine. La D.C. n’a pas bénéficié d’un soutien de l’Église aussi fort qu’en Europe, et les partis traditionnels ont souvent mieux résisté à la modernisation du jeu politique : en Colombie, en Uruguay, au Honduras, le système des partis a peu évolué depuis 1900. En outre, les partis populistes se sont montrés des rivaux dynamiques : le péronisme argentin, le M.N.R. bolivien, l’A.P.R.A. au Pérou n’ont pas la tradition anticléricale des partis socialistes et radicaux européens. La faiblesse de l’encadrement ecclésial (petit nombre de prêtres, pratique religieuse épisodique, absence de syndicats chrétiens) a joué aussi son rôle. Enfin, la démocratie chrétienne a été fortement combattue par une gauche catholique influente dans les années soixante-dix et par un catholicisme traditionnel très conservateur, mais qui a su, lui aussi, se moderniser en profitant de la vague néo-libérale.

          Le parti le plus puissant est la Démocratie chrétienne chilienne dont l’origine se situe en 1937, année où la jeunesse du Parti conservateur part fonder la Phalange. Vingt ans plus tard, le changement de nom s’accompagne d’un changement d’échelle : le Parti démocrate-chrétien gagne l’élection présidentielle de 1964, avec Eduardo Frei, perd le pouvoir en 1970 mais reste le premier des partis chiliens et s’oppose fortement au gouvernement socialiste et communiste du président Allende. Dissoute par les militaires en 1977, la D.C. conservera un rôle actif et sera le parti pivot de la démocratisation du système. En 1989, elle obtient avec Patricio Aylwin 30 p. 100 des voix et la présidence. Ce parti bien organisé de quelque quatre-vingt mille adhérents est fortement enraciné dans les professions libérales, les syndicats et la paysannerie. Sa politique réformiste, sous Aylwin comme sous Frei, est parvenue à une certaine conciliation entre une économie de marché efficace et une réelle redistribution sociale.

          L’autre grand parti démocrate-chrétien est le vénézuélien. Fondé en 1946, il est au pouvoir de 1968 à 1973 (Rafael Caldera) puis de 1979 à 1984 (Luis Herrera Campins). Le parti obtient environ 40 p. 100 des voix et dispose d’un soutien populaire très important quoique inférieur à celui de son rival traditionnel, Action démocratique, de tendance populiste. Ailleurs en Amérique du Sud, la D.C. recueille des suffrages plus modestes : 10 p. 100, environ, en Équateur (mais la présidence avec Osvaldo Hurtado, 1981-1984) et au Pérou ; 3 p. 100 en Bolivie, au Paraguay, en Uruguay même où, malgré son ancienneté (Union civique, 1912), le parti a du mal à s’implanter dans un pays très laïcisé. Elle est forte, en revanche, dans la plupart des pays d’Amérique centrale, où ses partis, fondés autour de 1960, ont obtenu le soutien des secteurs paysans, de nombreux travailleurs des villes et de cadres universitaires issus des mouvements catholiques. La D.C. a gagné la présidence du Salvador avec Napoleón Duarte (1984-1989), du Guatemala avec Vinicio Cerezo (1986-1991), du Costa Rica avec Rafael Angel Calderon (1990) et a de fortes positions au Panamá et en République dominicaine. À défaut de présenter un bilan indiscutable, ces partis au pouvoir ont été les canaux d’une certaine participation populaire et de l’enracinement de la démocratie pluraliste. Il existe des partis démocrates-chrétiens au Nicaragua et au Honduras.

          En Asie, il faut mentionner le Parti démocratique indonésien (11 p. 100 des voix en 1987), et surtout le Mouvement social-chrétien, fondé aux Philippines en 1966, dont l’animateur, Raul Manglapus, s’opposera à la dictature de Ferdinand Marcos et sera nommé ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Corazón Aquino. Un autre de ses membres, le général F. Ramos, a été élu président en 1992.

          En Afrique, les limites de l’implantation chrétienne et la très récente démocratisation des systèmes politiques sont des obstacles à l’implantation des partis démocrates-chrétiens ; souvent, ceux-ci ne sont que des groupes réduits, sans enracinement populaire. On peut toutefois citer le Parti démocratique de l’Ouganda, qui recrute de préférence parmi les catholiques et, depuis 1986, est représenté dans le gouvernement du président Yoweri Kaguta Museveni ; et encore, au Zaïre, pays catholique le plus important d’Afrique, le Parti démocrate et social chrétien de Joseph Ileo, dont l’opposition au régime de Mobutu recueille le soutien de protestants et de membres de l’Église kibanguiste.

          Au total, sur les cinq continents, ce sont quelque soixante-dix partis démocrates-chrétiens qui se comptent dans les pays de cultures catholique, orthodoxe et protestante. Les structures internationales – Internationale démocrate-chrétienne, Union européenne démocrate-chrétienne, Parti populaire européen (P.P.E., 162 sièges sur 522 au Parlement européen, en 1992), Organisation chrétienne d’Amérique – tâchent de rendre moins hétérogènes des partis allant du conservatisme modéré aux frontières du socialisme révolutionnaire. Leurs moyens sont limités, et leur tradition de solidarité moindre que celle des partis socialistes. L’aide accordée aux partis dans le besoin transite ainsi non par l’Internationale, mais de parti à parti. La C.D.U. allemande est de loin le parti qui développe l’action internationale la plus importante, bien qu’il ne faille pas négliger le rôle joué ces dernières années par le groupe P.P.E. au Parlement européen.

Rév. Père AKE Patrice Jean

Discussion sur DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE FERKESSEDOUGOU 2008

janvier 25, 2008

 

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DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE FERKESSEDOUGOU 2008

Enrichissement illicite, corruption, hypocrisie, mensonge : LA GROSSE COLÈRE DES ÉVÊQUES
(Fraternite-Matin  n°12559 23/01/2008)
Réuni le 20 janvier à Ferké, le clergé ivoirien s’est prononcé à nouveau sur la situation socio-politique. Un profond diagnostic assorti de propositions de sortie de crise.
Chers Ivoiriens,
Chères Ivoiriennes,
Chers Habitants de la Côte d’Ivoire,
Frères et Sœurs,
• Il convient avant tout de rendre grâce au Seigneur qui, durant ces cinq années d’épreuves, de douleurs, de tribulations et de souffrances, nous a évité le pire. Nous exprimons aussi notre gratitude à tous les habitants et amis de la Côte d’Ivoire qui nous ont aidés et soutenus.
• Une aube nouvelle se lève sur notre pays, sur notre chemin difficile vers la paix, après tous les efforts déployés depuis quelques années, qui n’ont pas encore abouti au résultat escompté. Aujourd’hui, la paix est possible et à notre portée. Les actes posés après l’Accord Politique de Ouagadougou nous confortent dans ce sens.
• Mais cette paix ne sera effective que si tous ensemble, chacun pour sa part, citoyen, habitant de ce pays, en toute vérité, nous nous engageons et œuvrons sans duplicité, sans lassitude pour la rendre réelle. Ainsi l’espérance qui naît à l’horizon, apparaît aussi comme une chance pour l’ensemble du pays. C’est aussi un défi et une lourde responsabilité pour nous fils et filles de la Côte d’Ivoire et en particulier pour vous, hommes politiques face à l’histoire.
• C’est dans le cadre de cette étape délicate et décisive dans la marche de notre pays vers la paix, que nous vous adressons ce Message pour non seulement vous soutenir mais vous encourager dans vos efforts par nos prières et vos choix par nos suggestions et contribuer à redonner à la Côte d’Ivoire une paix définitive.
• Dans notre Message, nous voulons porter un regard objectif sur la situation sociopolitique qui demeure préoccupante. Le pire pourrait arriver, si nous n’y prenons garde. A la lumière de ce regard, nous indiquerons, à titre de contribution, les conditions pour instaurer une paix définitive. Cette paix, au demeurant, est possible. Mais elle exige que des engagements soient pris et tenus, en conscience.
SITUATION SOCIO-POLITIQUE PREOCCUPANTE
• Sur ce chemin de la paix, nous voulons mentionner avec reconnaissance et espérance l’événement de la flamme de la paix à Bouaké, la visite du Premier ministre à Gagnoa, celle du Président de la République dans la région du Nord, l’écho de l’Accord Politique de Ouagadougou, le redéploiement de l’administration, la reprise des audiences foraines, l’allègement des barrages.
• Malheureusement, ce qui a créé l’espérance demeure encore sans effet car les gestes de mise en confiance tardent à marquer sensiblement et positivement la vie sociale et politique.
• Il subsiste encore de nombreux points sensibles qui ralentissent la réunification du pays, notamment la situation des préfets et sous-préfets qui ne peuvent pas exercer leur pouvoir, faute de restauration de l’autorité de l’Etat. Le désarmement tarde à s’effectuer, ainsi que l’unicité des caisses de l’Etat.
• Il en est de même pour l’imprécision et le manque de consensus qui règnent autour des dates officielles des élections présidentielles et législatives. Ce manque de repères juridiques et officiels contraignants sur le plan national et international est propice aux camouflages, aux manipulations, aux bras de fer inutiles entre les partis et les acteurs politiques.
• Par ailleurs, il convient de souligner qu’au-delà des déclarations d’intention et des pas réels accomplis vers la paix, la circulation des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire demeure difficile et malaisée.
• Des déclarations de bonne intention sont faites mais ne sont pas suivies d’effets concrets. Cela est inquiétant. Sur les routes, de nombreux barrages subsistent encore: les taxes sont toujours prélevées. Plus grave encore est l’existence de deux armées et de deux états-majors. Dans les zones toujours occupées, l’autorité est entièrement entre les mains des ex-rebelles.
• L’observation attentive de la vie politique présente laisse percevoir qu’au-delà de l’apaisement apparent et précaire, la répartition et l’exercice du pouvoir s’effectue selon le principe des clans d’intérêt; des partis et des acteurs politiques continuent d’adopter des attitudes, de proférer des paroles provocatrices et de produire des écrits incendiaires susceptibles de conduire à des affrontements de populations.
• Pendant ce temps, la corruption se généralise et ruine le pays. Les prix des denrées de première nécessité ne cessent d’augmenter. Alors que l’aide minimale est refusée à des nécessiteux au nom de la guerre, au nom et à la faveur de cette même guerre, un petit nombre de citoyens s’accaparent avidement des biens du pays et garantissent leur avenir et celui de leur postérité, pour des générations entières. L’on s’est installé dans l’hypocrisie, le mensonge et la duplicité. Le peuple est pris en otage, victime et souffrant.
• Tout cela compromet et risque d’empêcher l’avènement effectif de la paix… Le processus de normalisation de la situation socio- politique peut aboutir à la paix, à certaines conditions dont la toile de fond est la recherche de la vérité.
LES CONDITIONS POUR INSTAURER UNE PAIX DEFINITIVE
Les Moyens
• La première condition pour accéder à la paix définitive, c’est la vérité; la vérité vis-à-vis de Dieu, la vérité en nous-mêmes, la vérité vis-à-vis de notre prochain, la vérité vis-à-vis de la Nation; elle nous permet de reconnaître nos erreurs et de renforcer nos rapports de fraternité, d’amitié et de confiance.
• Jusqu’ici on ignore, par exemple, l’auteur du coup d’Etat, les responsables du charnier de Yopougon, des déchets toxiques.
On se demande encore ce qui s’est réellement passé au cours du bombardement du camp français de Bouaké. On ne sait pas non plus qui sont les auteurs de l’attentat contre l’avion du Premier ministre à Bouaké. Bien que des enquêtes aient été diligentées.
• Ceci traduit bien le manque de confiance entre nous. Or la vérité instaure en nous la sincérité, elle nous rend crédibles, elle restaure la confiance et libère en vue du bien de tous. C’est pourquoi la conversion à la vérité s’impose à tous : aux religieux, aux hommes politiques, aux chefs traditionnels, et à tous les autres citoyens.
• Si nous voulons donner à notre pays une paix définitive, il nous faut être cohérents et vrais et prendre en conséquence les moyens qui s’imposent.
On ne peut pas faire semblant de vouloir la paix et consciemment, en même temps, en cachette œuvrer pour que la guerre perdure. La conversion à la vérité s’impose comme condition primordiale pour aller à la paix. Chaque acteur du processus de paix devra se sentir ici concerné et interpellé.
19. Une lutte vigoureuse devra être urgemment entreprise contre la violence instaurée, la loi du plus fort et de la jungle, l’insécurité effrayante et l’impunité des criminels qui narguent l’autorité de l’Etat.
• Ce début de normalisation de la vie sociale permettra de remettre en circulation la confiance brisée dans le corps social et d’accréditer la volonté affichée des acteurs politiques d’aller résolument et définitivement à la paix.
L’implication des leaders
• En conséquence, les leaders d’opinion, les partis politiques, les hommes et les femmes de médias sont invités à créer un climat d’apaisement. Ils contribueront ainsi à instaurer un cadre de sérénité sociale et de convivialité citoyenne et responsable. Ils instaureront progressivement un esprit et une culture de paix, du respect, voire de l’admiration de l’autre dans sa différence d’origine ethnique et culturelle, religieuse et politique.
• Dans ce cadre, il importe de mettre rapidement fin aux campagnes de dénigrement, aux délations, aux informations partisanes, à la répartition et à l’exercice partisans du pouvoir et de l’autorité; toute chose qui ne met pas en valeur la défense et la promotion d’une part de l’intérêt du pays qui est notre bien commun, et d’autre part des droits et de la dignité des citoyens.
La déontologie de la parole
• Nous vous exhortons à mettre fin, à toutes paroles et attitudes provocatrices, susceptibles de créer et de faire grandir la tension et la méfiance, la confrontation et la déchirure du tissu social. Est-il bon et honnête par exemple de se proclamer Président de la République, maintenant, avant même la tenue des élections? Est- il bon et honnête de croire et de dire que son candidat est vainqueur avant même les élections? Ces interrogations d’une extrême importance exigent une réponse adéquate, sinon elles pourraient occasionner une intensification de la violence.
• Nous vous invitons à renoncer aux menaces, à l’utilisation de la violence physique, de l’intimidation sociale et de l’utilisation idéologique de la jeunesse comme instrument, bouclier et chair à canon. Nous supplions les leaders et les partis politiques d’arrêter la pratique malsaine et ignoble de la manipulation du peuple à des fins égoïstes.
• En agissant de la sorte, ils abusent de leurs propres concitoyens et parents qui ne comprennent rien à leur politique et à ce qui se joue aujourd’hui par rapport à leur propre destin. Il est nécessaire désormais que les leaders politiques respectent le peuple en tenant compte de son avis dans les déclarations et décisions qui engagent tout le pays et son destin.
• Dans la recherche de l’épanouissement social, il convient de mettre en œuvre tout ce qui peut permettre le rapprochement et la convivialité des peuples et des cultures de la Côte d’Ivoire. Il est urgent de susciter chez les Ivoiriens et en particulier chez nos jeunes la culture du travail ; cette tâche incombe en fait aux partis politiques et au Gouvernement, sans oublier les Familles et les Ecoles. C’est bien à cela que nous invite notre devise : Union, Discipline, Travail. La paix est possible à ces diverses conditions.
LA PAIX EST POSSIBLE
• La paix est possible. Cela exige que chaque Ivoirien, chaque décideur, habitant et ami de ce pays prenne l’engagement ferme de la rendre possible en jouant sa partition. La paix que recherche la Côte d’Ivoire est celle qui s’enracine en Dieu et qui jaillit du cœur des hommes politiques, des citoyens, des croyants, des religieux, des hommes des médias et de la société civile. Elle se concrétise dans la défense, le respect et la promotion de la vie. La paix que recherche la Côte d’Ivoire se traduit dans la confiance et la solidarité entre nous.
• L’heure n’est plus aux accusations et aux condamnations. En souillant ce pays de sang humain, nous avons tous failli, mal agi. Cette tragédie nationale qui a coûté tant de vies humaines, brisé tant d’existences, dévasté des familles et détruit des communautés entières est la conséquence de nos inconséquences et de nos injustices, de nos irresponsabilités, de nos silences et de nos complicités multiples.
• Nous devons en demander sincèrement et humblement pardon à Dieu et pardon les uns aux autres, publiquement; et pour cela, nous proposons que soit organisée une journée nationale de deuil, de jeûne, de prière pour tous, sans distinction de religions et de croyances. Tous, nous devons, dans la pure tradition africaine et religieuse de la crainte de Dieu et du respect de la vie, demander pardon pour le sang humain versé.
• Dans la dynamique de cette reconnaissance nationale de crimes commis et à ne plus répéter, nous prendrons tous l’engagement solennel de ne plus jamais emprunter le chemin de la guerre pour résoudre nos problèmes mais d’opter pour le dialogue et la paix. L’amour pour notre pays nous le commande fortement. Chacun aime son pays. Et nous savons que tous, nous aimons notre pays la Côte d’Ivoire. Cet amour du pays consiste à l’aimer vraiment en cherchant à ne pas le piller, à ne pas l’exploiter, à ne pas le brader.
• Dans le sens de la réconciliation, et de la réunification, nous encourageons l’effort en cours de rétrocéder les maisons, les terrains et les biens à leurs propriétaires. Ce même amour du pays doit pouvoir amener les leaders politiques à se retrouver régulièrement pour discuter, s’entendre, rassembler et unir la Côte d’Ivoire autour d’un idéal, d’un projet commun de bonheur.
• Nous savons qu’un tel effort est difficile; car bien souvent, nos options politiques contredisent nos convictions religieuses; mais ayons le courage de nous tourner ensemble vers Dieu en lui adressant cette prière:
• «Donne nous des responsables politiques pénétrés de l’Esprit Saint. Touche le cœur de tous et de chacun. Révèle à tous ton Esprit et qu’ils acceptent de mettre fin à la misère et à la souffrance de leurs frères et sœurs. Suscite des hommes et des femmes pleins d’amour, de justice et de vérité, capables de conduire ton peuple vers son épanouissement total avec courage, désintéressement, générosité et sagesse». (cf. Prière pour la paix en Côte d’Ivoire).
• Que la Vierge, Notre Dame de la Paix, par sa prière, soutienne les efforts de paix en cours et que son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, achève l’œuvre de réconciliation et de paix qu’il a commencée en faveur de notre pays, la Côte d’Ivoire. Au Nom de l’Emmanuel, le Prince de la Paix, nous vous souhaitons une année sainte, source de joie, d’unité et de paix.
Fait à Ferkessédougou, le 20 Janvier 2008
Vos frères, les Evêques de Côte d’Ivoire

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Discussion sur DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE FERKESSEDOUGOU 2008

janvier 25, 2008

 

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DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE FERKESSEDOUGOU 2008

Enrichissement illicite, corruption, hypocrisie, mensonge : LA GROSSE COLÈRE DES ÉVÊQUES
(Fraternite-Matin  n°12559 23/01/2008)
Réuni le 20 janvier à Ferké, le clergé ivoirien s’est prononcé à nouveau sur la situation socio-politique. Un profond diagnostic assorti de propositions de sortie de crise.
Chers Ivoiriens,
Chères Ivoiriennes,
Chers Habitants de la Côte d’Ivoire,
Frères et Sœurs,
• Il convient avant tout de rendre grâce au Seigneur qui, durant ces cinq années d’épreuves, de douleurs, de tribulations et de souffrances, nous a évité le pire. Nous exprimons aussi notre gratitude à tous les habitants et amis de la Côte d’Ivoire qui nous ont aidés et soutenus.
• Une aube nouvelle se lève sur notre pays, sur notre chemin difficile vers la paix, après tous les efforts déployés depuis quelques années, qui n’ont pas encore abouti au résultat escompté. Aujourd’hui, la paix est possible et à notre portée. Les actes posés après l’Accord Politique de Ouagadougou nous confortent dans ce sens.
• Mais cette paix ne sera effective que si tous ensemble, chacun pour sa part, citoyen, habitant de ce pays, en toute vérité, nous nous engageons et œuvrons sans duplicité, sans lassitude pour la rendre réelle. Ainsi l’espérance qui naît à l’horizon, apparaît aussi comme une chance pour l’ensemble du pays. C’est aussi un défi et une lourde responsabilité pour nous fils et filles de la Côte d’Ivoire et en particulier pour vous, hommes politiques face à l’histoire.
• C’est dans le cadre de cette étape délicate et décisive dans la marche de notre pays vers la paix, que nous vous adressons ce Message pour non seulement vous soutenir mais vous encourager dans vos efforts par nos prières et vos choix par nos suggestions et contribuer à redonner à la Côte d’Ivoire une paix définitive.
• Dans notre Message, nous voulons porter un regard objectif sur la situation sociopolitique qui demeure préoccupante. Le pire pourrait arriver, si nous n’y prenons garde. A la lumière de ce regard, nous indiquerons, à titre de contribution, les conditions pour instaurer une paix définitive. Cette paix, au demeurant, est possible. Mais elle exige que des engagements soient pris et tenus, en conscience.
SITUATION SOCIO-POLITIQUE PREOCCUPANTE
• Sur ce chemin de la paix, nous voulons mentionner avec reconnaissance et espérance l’événement de la flamme de la paix à Bouaké, la visite du Premier ministre à Gagnoa, celle du Président de la République dans la région du Nord, l’écho de l’Accord Politique de Ouagadougou, le redéploiement de l’administration, la reprise des audiences foraines, l’allègement des barrages.
• Malheureusement, ce qui a créé l’espérance demeure encore sans effet car les gestes de mise en confiance tardent à marquer sensiblement et positivement la vie sociale et politique.
• Il subsiste encore de nombreux points sensibles qui ralentissent la réunification du pays, notamment la situation des préfets et sous-préfets qui ne peuvent pas exercer leur pouvoir, faute de restauration de l’autorité de l’Etat. Le désarmement tarde à s’effectuer, ainsi que l’unicité des caisses de l’Etat.
• Il en est de même pour l’imprécision et le manque de consensus qui règnent autour des dates officielles des élections présidentielles et législatives. Ce manque de repères juridiques et officiels contraignants sur le plan national et international est propice aux camouflages, aux manipulations, aux bras de fer inutiles entre les partis et les acteurs politiques.
• Par ailleurs, il convient de souligner qu’au-delà des déclarations d’intention et des pas réels accomplis vers la paix, la circulation des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire demeure difficile et malaisée.
• Des déclarations de bonne intention sont faites mais ne sont pas suivies d’effets concrets. Cela est inquiétant. Sur les routes, de nombreux barrages subsistent encore: les taxes sont toujours prélevées. Plus grave encore est l’existence de deux armées et de deux états-majors. Dans les zones toujours occupées, l’autorité est entièrement entre les mains des ex-rebelles.
• L’observation attentive de la vie politique présente laisse percevoir qu’au-delà de l’apaisement apparent et précaire, la répartition et l’exercice du pouvoir s’effectue selon le principe des clans d’intérêt; des partis et des acteurs politiques continuent d’adopter des attitudes, de proférer des paroles provocatrices et de produire des écrits incendiaires susceptibles de conduire à des affrontements de populations.
• Pendant ce temps, la corruption se généralise et ruine le pays. Les prix des denrées de première nécessité ne cessent d’augmenter. Alors que l’aide minimale est refusée à des nécessiteux au nom de la guerre, au nom et à la faveur de cette même guerre, un petit nombre de citoyens s’accaparent avidement des biens du pays et garantissent leur avenir et celui de leur postérité, pour des générations entières. L’on s’est installé dans l’hypocrisie, le mensonge et la duplicité. Le peuple est pris en otage, victime et souffrant.
• Tout cela compromet et risque d’empêcher l’avènement effectif de la paix… Le processus de normalisation de la situation socio- politique peut aboutir à la paix, à certaines conditions dont la toile de fond est la recherche de la vérité.
LES CONDITIONS POUR INSTAURER UNE PAIX DEFINITIVE
Les Moyens
• La première condition pour accéder à la paix définitive, c’est la vérité; la vérité vis-à-vis de Dieu, la vérité en nous-mêmes, la vérité vis-à-vis de notre prochain, la vérité vis-à-vis de la Nation; elle nous permet de reconnaître nos erreurs et de renforcer nos rapports de fraternité, d’amitié et de confiance.
• Jusqu’ici on ignore, par exemple, l’auteur du coup d’Etat, les responsables du charnier de Yopougon, des déchets toxiques.
On se demande encore ce qui s’est réellement passé au cours du bombardement du camp français de Bouaké. On ne sait pas non plus qui sont les auteurs de l’attentat contre l’avion du Premier ministre à Bouaké. Bien que des enquêtes aient été diligentées.
• Ceci traduit bien le manque de confiance entre nous. Or la vérité instaure en nous la sincérité, elle nous rend crédibles, elle restaure la confiance et libère en vue du bien de tous. C’est pourquoi la conversion à la vérité s’impose à tous : aux religieux, aux hommes politiques, aux chefs traditionnels, et à tous les autres citoyens.
• Si nous voulons donner à notre pays une paix définitive, il nous faut être cohérents et vrais et prendre en conséquence les moyens qui s’imposent.
On ne peut pas faire semblant de vouloir la paix et consciemment, en même temps, en cachette œuvrer pour que la guerre perdure. La conversion à la vérité s’impose comme condition primordiale pour aller à la paix. Chaque acteur du processus de paix devra se sentir ici concerné et interpellé.
19. Une lutte vigoureuse devra être urgemment entreprise contre la violence instaurée, la loi du plus fort et de la jungle, l’insécurité effrayante et l’impunité des criminels qui narguent l’autorité de l’Etat.
• Ce début de normalisation de la vie sociale permettra de remettre en circulation la confiance brisée dans le corps social et d’accréditer la volonté affichée des acteurs politiques d’aller résolument et définitivement à la paix.
L’implication des leaders
• En conséquence, les leaders d’opinion, les partis politiques, les hommes et les femmes de médias sont invités à créer un climat d’apaisement. Ils contribueront ainsi à instaurer un cadre de sérénité sociale et de convivialité citoyenne et responsable. Ils instaureront progressivement un esprit et une culture de paix, du respect, voire de l’admiration de l’autre dans sa différence d’origine ethnique et culturelle, religieuse et politique.
• Dans ce cadre, il importe de mettre rapidement fin aux campagnes de dénigrement, aux délations, aux informations partisanes, à la répartition et à l’exercice partisans du pouvoir et de l’autorité; toute chose qui ne met pas en valeur la défense et la promotion d’une part de l’intérêt du pays qui est notre bien commun, et d’autre part des droits et de la dignité des citoyens.
La déontologie de la parole
• Nous vous exhortons à mettre fin, à toutes paroles et attitudes provocatrices, susceptibles de créer et de faire grandir la tension et la méfiance, la confrontation et la déchirure du tissu social. Est-il bon et honnête par exemple de se proclamer Président de la République, maintenant, avant même la tenue des élections? Est- il bon et honnête de croire et de dire que son candidat est vainqueur avant même les élections? Ces interrogations d’une extrême importance exigent une réponse adéquate, sinon elles pourraient occasionner une intensification de la violence.
• Nous vous invitons à renoncer aux menaces, à l’utilisation de la violence physique, de l’intimidation sociale et de l’utilisation idéologique de la jeunesse comme instrument, bouclier et chair à canon. Nous supplions les leaders et les partis politiques d’arrêter la pratique malsaine et ignoble de la manipulation du peuple à des fins égoïstes.
• En agissant de la sorte, ils abusent de leurs propres concitoyens et parents qui ne comprennent rien à leur politique et à ce qui se joue aujourd’hui par rapport à leur propre destin. Il est nécessaire désormais que les leaders politiques respectent le peuple en tenant compte de son avis dans les déclarations et décisions qui engagent tout le pays et son destin.
• Dans la recherche de l’épanouissement social, il convient de mettre en œuvre tout ce qui peut permettre le rapprochement et la convivialité des peuples et des cultures de la Côte d’Ivoire. Il est urgent de susciter chez les Ivoiriens et en particulier chez nos jeunes la culture du travail ; cette tâche incombe en fait aux partis politiques et au Gouvernement, sans oublier les Familles et les Ecoles. C’est bien à cela que nous invite notre devise : Union, Discipline, Travail. La paix est possible à ces diverses conditions.
LA PAIX EST POSSIBLE
• La paix est possible. Cela exige que chaque Ivoirien, chaque décideur, habitant et ami de ce pays prenne l’engagement ferme de la rendre possible en jouant sa partition. La paix que recherche la Côte d’Ivoire est celle qui s’enracine en Dieu et qui jaillit du cœur des hommes politiques, des citoyens, des croyants, des religieux, des hommes des médias et de la société civile. Elle se concrétise dans la défense, le respect et la promotion de la vie. La paix que recherche la Côte d’Ivoire se traduit dans la confiance et la solidarité entre nous.
• L’heure n’est plus aux accusations et aux condamnations. En souillant ce pays de sang humain, nous avons tous failli, mal agi. Cette tragédie nationale qui a coûté tant de vies humaines, brisé tant d’existences, dévasté des familles et détruit des communautés entières est la conséquence de nos inconséquences et de nos injustices, de nos irresponsabilités, de nos silences et de nos complicités multiples.
• Nous devons en demander sincèrement et humblement pardon à Dieu et pardon les uns aux autres, publiquement; et pour cela, nous proposons que soit organisée une journée nationale de deuil, de jeûne, de prière pour tous, sans distinction de religions et de croyances. Tous, nous devons, dans la pure tradition africaine et religieuse de la crainte de Dieu et du respect de la vie, demander pardon pour le sang humain versé.
• Dans la dynamique de cette reconnaissance nationale de crimes commis et à ne plus répéter, nous prendrons tous l’engagement solennel de ne plus jamais emprunter le chemin de la guerre pour résoudre nos problèmes mais d’opter pour le dialogue et la paix. L’amour pour notre pays nous le commande fortement. Chacun aime son pays. Et nous savons que tous, nous aimons notre pays la Côte d’Ivoire. Cet amour du pays consiste à l’aimer vraiment en cherchant à ne pas le piller, à ne pas l’exploiter, à ne pas le brader.
• Dans le sens de la réconciliation, et de la réunification, nous encourageons l’effort en cours de rétrocéder les maisons, les terrains et les biens à leurs propriétaires. Ce même amour du pays doit pouvoir amener les leaders politiques à se retrouver régulièrement pour discuter, s’entendre, rassembler et unir la Côte d’Ivoire autour d’un idéal, d’un projet commun de bonheur.
• Nous savons qu’un tel effort est difficile; car bien souvent, nos options politiques contredisent nos convictions religieuses; mais ayons le courage de nous tourner ensemble vers Dieu en lui adressant cette prière:
• «Donne nous des responsables politiques pénétrés de l’Esprit Saint. Touche le cœur de tous et de chacun. Révèle à tous ton Esprit et qu’ils acceptent de mettre fin à la misère et à la souffrance de leurs frères et sœurs. Suscite des hommes et des femmes pleins d’amour, de justice et de vérité, capables de conduire ton peuple vers son épanouissement total avec courage, désintéressement, générosité et sagesse». (cf. Prière pour la paix en Côte d’Ivoire).
• Que la Vierge, Notre Dame de la Paix, par sa prière, soutienne les efforts de paix en cours et que son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, achève l’œuvre de réconciliation et de paix qu’il a commencée en faveur de notre pays, la Côte d’Ivoire. Au Nom de l’Emmanuel, le Prince de la Paix, nous vous souhaitons une année sainte, source de joie, d’unité et de paix.
Fait à Ferkessédougou, le 20 Janvier 2008
Vos frères, les Evêques de Côte d’Ivoire

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Discussion sur DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE 2003

janvier 25, 2008

 

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DECLARATION DES EVEQUES DE COTE D’IVOIRE 2003

Déclaration des évêques de Côte d’Ivoire

"L’impunité dont jouissent certains individus amène au triste constat qu’en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de véritable pouvoir étatique"
Au moment où tous les regards sont tournés vers Paris pour une solution possible à la crise ivoirienne, les évêques de Côte d’Ivoire réunis à Abengourou ,à l’occasion de la 75e assemblée plénière de la Conférence épiscopale qui s’est tenue du 14 au 19 janvier, ont, dans une déclaration lue par le vice-président de la Conférence épiscopale, Mgr Laurent Mandjo, dépeint les maux qui minent la société ivoirienne. Une société " fragilisée " selon eux par l’hypocrisie, le mensonge, et rongée par l’impunité et le laxisme, le manque d’amour et de liberté…Ils proposent par ailleurs des solutions de sortie de crise.

Comme chaque année, au mois de janvier, vos frères, les Evêques de Côte d’Ivoire, se sont réunis pour examiner les problèmes de l’Eglise en terre ivoirienne, à savoir son développement, son expansion, le fonctionnement de ses institutions… L’Eglise est insérée dans une société; elle fait corps avec elle. Les problèmes sociaux ne la laissent donc pas indifférente. Ainsi la crise que traverse notre pays était au centre, non seulement de nos travaux, mais aussi de nos réflexions et surtout de nos prières et célébrations. Nous avons prié pour la paix dans notre pays, pour la réconciliation de tous ses fils et filles.
A présent, nous voulons jeter avec vous un regard sur notre société ; un simple diagnostic nous révèle qu’elle est malade. Les maux dont elle souffre sont : le mensonge sous toutes ses formes, l’injustice et l’impunité, le manque d’amour et de liberté. Nous voulons ensuite vous proposer ce que nous envisageons pour sortir de cette crise et consolider la paix sociale dans notre pays, à la lumière des 4 piliers que présente le récent document pontifical pour instaurer la paix dans le monde, à savoir : la vérité, la justice, l’amour et la liberté.

I/Regard sur la société ivoirienne

1. 1 Une société fragilisée
Une des caractéristiques de notre démocratie est le mensonge. En Côte d’Ivoire, on cultive le mensonge. Nous sommes confrontés à une crise de la vérité. Trop de mensonges faussent le débat politique. L’hypocrisie a façonné nos comportements, la duplicité est devenue la norme dans nos relations humaines ; le non-respect de la parole donnée mine la concrétisation de nos engagements. L’hypocrisie semble avoir été institutionnalisée; mensonges et demi-vérités jalonnent les discours. Dans notre pays, on peut fomenter un coup d’Etat et ne jamais savoir qui en sont les auteurs et les commanditaires. On peut découvrir un charnier et ne jamais connaître celui qui l’a planifié et mis à exécution. Jusqu’à ce jour et malgré la tenue du Forum national pour la réconciliation, on ignore les auteurs et les commanditaires du premier coup d’Etat. Malgré l’enquête diligentée, le mystère entoure toujours le charnier de Yopougon.
En fait, si la société s’enlise de la sorte dans le mensonge, c’est que le spectre des enlèvements, des assassinats et des menaces de mort plane sur la tête de ceux qui osent dire la vérité. Certaines personnalités sont ainsi contraintes à la vie clandestine.
Les relations entre partis politiques laissent à désirer : conflits entre partis politiques, critiques négatives et destructrices, alliances contre nature ou suicidaires, oppositions systématiques aux idées et innovations du parti au pouvoir, perte du sens de l’intérêt supérieur de la nation au profit des intérêts particuliers et partisans.

1. 2 L’impunité et le laxisme
L’impunité et le laxisme rongent aussi notre société. Un individu peut être pris la main dans la pâte et continuer de vivre en toute quiétude comme si de rien n’était. On peut être condamné par le tribunal et se retrouver aussitôt en liberté ou en dehors du pays.
L’exercice du pouvoir dans notre pays, au niveau des institutions républicaines, est des plus laxistes. On y relève un manque flagrant de fermeté face à des dérives dangereuses qui méritent une réaction prompte et décisive. L’impunité dont jouissent certains individus amène au triste constat qu’en Côte d’Ivoire il n’y a pas de véritable pouvoir étatique.

1.3 Le manque d’amour
Aux yeux de nombre d’Ivoiriens, l’honnêteté, l’intégrité et la justice semblent des valeurs d’un autre âge. La recherche excessive du confort, la course effrénée à l’argent, la soif excessive de l’argent orientent malheureusement la vie des Ivoiriens. L’argent est devenu un critère de reconnaissance de la dignité humaine. C’est ici que se trouve la source de nos divisions, y compris la division au sein de nos institutions républicaines comme l’armée ou les partis politiques. On est membre d’un parti politique non pas à cause de l’idéal ou du programme de développement proposé, mais en fonction de l’intérêt financier que l’on peut retirer ou du poste à occuper.
La presse ivoirienne n’est pas en reste, elle qui, dans sa grande majorité, est à la solde des chefs de partis politiques. Nous savons qu’un pays ou un royaume divisé court à sa perte.
1.4 Le manque de liberté L’Ivoirien pense qu’il jouit d’une grande liberté mais, en fait, il est semblable à un prisonnier qui ignore son état réel de vie. L’Ivoirien a tendance à s’agripper à ceux qui le font vivre et le soutiennent financièrement. La situation de guerre que nous vivons en ce moment semble être le résultat des valeurs que nous avons bafouées, foulées au pied et qui ont pour nom la vérité, la justice, l’amour, la liberté. Mais nous avons foi en un avenir meilleur ; acceptons de faire place à ces valeurs dans notre société.

II/Propositions de sortie de crise

2. 1 Le devoir de vérité s’impose à tous.
Il s’impose à tous, de manière particulière il s’impose à tous les acteurs de la vie politique afin de libérer la Côte d’Ivoire. L’heure est venue de nous débarrasser du langage de mensonge, de quitter l’arène des coups bas et de la duplicité, de l’hypocrisie, pour adopter désormais le langage de la vérité libératrice et constructive.
2.2. Le devoir de liberté.
Cet engagement à emprunter le chemin de la vérité doit s’accompagner de la ferme résolution de vouloir œuvrer pour notre libération. L’Ivoirien doit accepter de se libérer par rapport à la puissance de l’argent et à la soif du pouvoir ; le pouvoir est donné en vue du service et non pour se servir. Et cela, nos hommes politiques doivent le comprendre et l’admettre une fois pour toutes.
L’acquisition de la liberté passe par l’arrêt définitif des escadrons de la mort, l’arrêt définitif de toute stratégie visant à détruire la vie humaine.
La laïcité de l’Etat doit être sauvegardée à tout prix pour garantir la liberté religieuse. Que chaque communauté religieuse pratique sa foi sans prendre les hommes politiques en otage et sans être l’otage d’hommes politiques. Que les communautés religieuses se respectent mutuellement.

2.3 L’Amour.
Nous aimer les uns les autres est un commandement de Dieu ; l’amour est don de soi, ouverture aux autres et acceptation des autres. Personne ne doit être rejeté. Cet amour s’appelle solidarité, tolérance et pardon, excluant toute trace de haine et de violence.
Apprenons à nous aimer entre nous ; arrêtons de nous combattre et de nous torpiller, de nous catégoriser entre gens du Nord et du Sud, gens de l’Ouest et de l’Est. Nous vous invitons à cultiver et entretenir en vous l’amour du pays, dans votre comportement de tous les jours et dans l’accomplissement consciencieux de vos tâches quotidiennes. Développons en nous l’amour du travail bien fait et le goût du mérite. Nous éviterons ainsi la corruption et la recherche du gain facile.
Aimer son pays, c’est le servir avec une conscience professionnelle et un désintéressement total. Aimer son pays, c’est partager un idéal commun, à savoir privilégier en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance, l’intérêt supérieur du pays, en le plaçant au-dessus de nos intérêts particuliers et personnels.

2.4 La Justice
La pratique de cette justice passe par un exercice du pouvoir étatique à même de garantir la paix et la sécurité de tous; la reconnaissance des valeurs et des compétences à la place du népotisme et du favoritisme.
Elle passe par la diffusion d’informations justes et vraies sur le pays et sur le monde.
Ici, nous voulons interpeller la communauté internationale et nos frères africains qui vivent avec nous ; la communauté internationale devra faire l’effort de ne pas tronquer les informations prises ici et diffusées ailleurs dans le monde. Elle devra surtout s’engager à nous aider à sortir du sous-développement en achetant nos produits à des prix justes.
Nous prions nos frères africains d’arrêter d’exiger de nous ce qu’ils refusent chez eux. Qu’ils sachent reconnaître et apprécier la facilité d’intégration qui leur a été offerte depuis notre accession à l’indépendance et tous les avantages qui leur ont été accordés tant au plan social, économique que politique. Qu’ils ne perdent pas de vue le principe fondamental de la réciprocité.
Conclusion : Frères et sœurs, le Pape Jean XXIII nous rappelle dans son encyclique "Pacem in terris" que la Paix est " l’objet du profond désir de l’humanité de tous les temps ". Car Dieu a créé l’homme et l’a placé dans l’ordre de la tranquillité et de l’harmonie. Ainsi, nous savons que les Ivoiriens sont attachés à la paix, ils ne connaissaient pas la guerre. C’est pourquoi ils font entièrement confiance à leurs frères et sœurs qui participent au sommet de Paris. Qu’ils mettent tout en œuvre pour que les négociations aboutissent à un accord de paix sincère. Personne ne doit compromettre cette paix que les Ivoiriens appellent de tous leurs vœux.
Ce qu’il nous faut comprendre aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas d’un côté les anges et de l’autre les démons, d’un côté les bons et de l’autre les mauvais. Il y a plutôt de part et d’autre, des frères qui doivent être capables de se parler, de se dire la vérité et après quoi de se comprendre pour s’accueillir mutuellement et se réconcilier. Ainsi se dessine le Chemin de l’Espérance pour une Côte d’Ivoire renouvelée.

Fait à Abengourou, le 18 janvier 2003
Vos frères les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire

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